[Chapitre 1] Qui songe, façonne.

Ainsi donc en l'an 1123 du calendrier impérial, cinq messagers eurent rempli leur mission, afin de constituer une bien curieuse association de samouraïs. Les clans de la Licorne, du Scorpion, du phénix et de la Grue furent conviés à participer à la justice impériale. Par le message remis, chaque Clan sut qu'il devait détacher l'un de ses prometteurs Samouraïs aux services d'un des magistrats d'Emeraude.

Lorsque les messagers atteignirent leur destination, les frimas glaçaient encore les toits, bien que l'on pressentait déjà les premières chaleurs du printemps. Cela ne fit qu'attiser la curiosité de ceux qui s'étaient trouvés sur leur chemin : qui voyage en hiver en Rokugan ? Et quelle raison justifie un tel cheminement ? A ce que l'on dit, le secret entourant l'événement ne fut percé que par de rares élus, et principalement par les destinataires.

Ce que l'on sait toutefois, c'est que peu de temps après l'arrivée de ces quatre messagers, quatre samouraïs prirent la route en direction de Shizuka toshi, berceau de l'académie Doji, au coeur des Terres du Clan de la Grue...

La neige a commencé à fondre lorsque les plus proches du lieu de rendez-vous ont enfourché leur monture pour entamer leur périple. La température est toujours basse, mais la Vie est sur le point de renaître et d'amener ses vivifiantes couleurs printanières avec elle. Elle sera également le point de départ d'une nouvelle saison des guerres, des déplacements de troupes et de son cortège de Mort, frère ennemi cruel mais indispensable aux cycles.

Le voyage a été plus ou moins long, selon la région d'où arrivaient nos héros, le coeur empli d'une envie de découvrir, de démontrer et d'aller vivre leur Bushido. La consigne a été donnée dans l'invitation -ainsi que les laisser-passer permettant de voyager sur les territoires traversés - : pas d'escorte ostentatoire. Il aura fallu quelques arrêts dans les auberges de routes balisées pour les plus éloignés, mais dans chacune d'entre elles, tout a été fait pour que le voyageur soit ravi. L'insatisfaction d'un samouraï peut coûter très cher.

Les Fortunes soient loués, aucun kami mécontent n'est venu ralentir le voyage. Aucun bandit ne s'est senti le courage d'attaquer un samouraï en mission. Portés par les ailes de la gloire à venir, vous avez donc franchis des plaines - en évitant tout de même les champs d'herbes sauvages et hautes, ne sachant pas ce qui pourrait s'y cacher -, avez longé quelques forêts - en évitant d'y pénétrer trop profondément pour éviter d'y rencontrer quelques êtres hostiles -, vogué sur des flots heureusement calmes, jusqu'à enfin voir votre destination au loin.

Du moins l'un des symboles de celle-ci, car c'est tout d'abord la forêt d'Osari Mori, la plus imposante du territoire du Clan de la Grue, que vous percevez au loin. La célèbre forêt qui abrite Shizuka toshi, ville érigée autour de l'illustre Académie Doji, centre d'enseignement pour les courtisans d'un Clan qui en est le parangon. C'est bel et bien en cette ville que vous devez rencontrer Doji Saori, Magistrate d'Emeraude -une magistrate impériale, rien de moins- , à l'origine de l'appel.

Heureusement, les arbres d'Osari Mori ne dissimulent pas de dangers, qu'ils soient d'ordre spirituels ou terrestres, et l'interdiction d'en exploiter les ressources lui confère un aspect sauvage, d'autant avec les cascades que vous finissez par entendre, peu de temps avant de voir les abords de la ville.


Il ne vous faut pas longtemps pour vous orienter, une fois entrés en ville. La cité n'accueille pas seulement l'Académie Doji : entre ses murs se trouve également une école de Magistrats, où votre mystérieuse rencontre doit se dérouler. Au fil des rues, dans lesquelles les quelques heimins croisés ne manquent pas de s'incliner avec une déférence impeccable, vous parvenez à vous orienter aisément. L'excentricité n'est pas de mise, mais il faut reconnaître au lieu un cachet rarement vu, pour ceux parmi vous qui ne seraient pas habitués aux talents esthétiques du clan de la Grue, main droite de l'Empereur.

De nombreux samouraïs déambulent tranquillement dans les rues, vêtus de kimonos sans Daishō - des élèves encore certainement -, ou portant les deux sabres. Quelques hommes et femmes en armures également, gardes d'un lieu qui ne semble pas en avoir besoin, mais qui affiche ainsi notoirement la richesse de son Clan.

Il fait encore frais mais le soleil est visible dans le ciel lorsque vous arrivez aux portes de l'école des magistrats, présentant vos invitations qui ressemblent davantage à des convocations. Chacun votre tour, le courtisan qui vous accueille, d'une courtoisie sans défaut, vous prie de le suivre dans une pièce où vous pourrez patienter seul(e), le temps que la magistrate puisse vous recevoir et qu'il vienne vous chercher.

Il y a eu pourtant quelques raisons d'ébranler son impeccable stoïcisme : qu'il s'agisse du puissant Destrier Utaku, qui a provoqué quelques appréhensions aux écuries, ou du moine qui ne semblait pas réellement attendu. Mais le courtisan ne cille pas. Son très mince sourire poli ne faiblit pas, et il vous mène jusqu'à la pièce où il vous propose de lui indiquer ce qui pourrait convenir à votre confort, le cas échéant.

Même les samouraïs des Clans de la Licorne et du Dragon, qui pourraient facilement faire quelques entorses au protocole, savent qu'une pareille proposition n'est que façade polie, et qu'il ne faut pas s'y tromper : demander à boire ou manger serait grossier. Quel samouraï en ferait la demande, sur le point de rencontrer une Magistrate d'Emeraude qui l'a convoqué ?

Il faut relativement peu de temps après que les panneaux de bois et de papiers se soient refermés, vous laissant seul, chacun dans cette pièce, pour que le courtisan revienne vous chercher, toujours aussi affable, et qu'il vous mène jusqu'à une cour intérieure de bonne taille dans laquelle se trouve plusieurs personnes.

Au centre se trouve une femme richement vêtue, à l'attitude digne et aux longs cheveux blancs ornés d'or glissant dans son dos malgré un arrangement savant sur le haut de la tête, que vous imaginez sans aucun mal comme étant Doji Saori, Magistrate d'Emeraude.


Non loin se trouve un homme d'un âge mûr en armure de métal, propre aux Daidoji. Ses cheveux blancs et sa barbe pourraient également renforcer cette supposition, s'il n'était son âge avancé. S'il ne se place pas entre vous et l'honorable Magistrate, vous n'êtes pas trompés : sa posture, la distance qui les sépare, son regard intense et dur. Il est prêt à réagir et protéger si besoin, même s'il conserve une neutralité et un silence poli et protocolaire.


Puis il y a, manifestement arrivés du même couloir à intervalles réguliers, chacun d'entre vous, à qui le courtisan a de nouveau demandé de patienter quelques instants. Personne d'autre ne semble visible dans la cour, dont le cerisier central ne devrait plus tarder à débuter sa floraison.

Assise sur un banc de pierre à côté de l'arbre mythique, tandis que l'homme était debout, la Magistrate se lève délicatement et fait crisser les minuscules graviers qui tapissent le sol de la cour, posant sur vous un regard pesant.

Mon voyage a probablement été le plus bref de tous, mais certainement pas le moins enrichissant ou plaisant. Bien que les frimas des dernières heures de l’hiver ne se soient pas encore complètement dissipés pour laisser place à la renaissance printanière, je goûte complètement cette opportunité de parcourir les terres de mon clan et de découvrir ses paysages et ses richesses. Shizuka Toshi et l’Académie Doji sont des hauts lieux dont la réputation m’a maintes fois été vantée malgré mon jeune âge, et je ne peux que remercier Fortunes et Kamis de me donner la chance de les voir de mes yeux.

J’ai pris toutes mes dispositions pour m’assurer de ne point être en retard, une telle entorse à l’étiquette serait tout simplement inacceptable. Et une fois dans l’enceinte de cette ville magnifique, je m’efforce de m’extirper de toute contemplation excessive pour me rendre parfaitement présentable pour l’occasion. D’une taille légèrement supérieure à la moyenne, mon physique est plutôt fin et sec, même s’il est visible que j’ai suivi un entraînement athlétique, comme tout bushi qui se respecte. Mes yeux sont du même noir que mes cheveux, mon visage est fin tout comme mes traits. D’aucun jugerait que je suis beau garçon, sans excès toutefois, ma mine affichant une neutralité avenante, laissant à l’envie se dessiner sur mes lèvres fines un discret sourire respirant la sincérité. La rencontre se dessinant immédiatement après mon arrivée, je porte mon kimono de voyage, mais il est notable que je me suis montré extrêmement attentif à ce qu’il soit absolument impeccable, tant par sa propreté que par la manière dont je le porte. Ses couleurs blanc et bleu ciel ne laisseront planer nul doute sur mon appartenance au clan de la Grue, d’autant qu’il est frappé des môns de mon clan et de ma famille.

Voyant l’échéance approcher, je suis malgré tout resté parfaitement calme, même si mon regard vif et observateur n’a cessé d’ausculter les détails du lieu et des autres invités qui semblent être dans la même situation que moi. Et c’est avec une grande déférence que j’aborde la rencontre avec Doji Saori, tant par son statut, que par ce qu’elle dégage maintenant que j’ai l’honneur de me retrouver en sa présence. Bien évidemment, je ne pose guère de questions : je connais sa place, et je connais la mienne. Je ne perds pas un instant quand elle s'approche pour me mettre à genoux et me courber jusqu’à temps que mon front vienne côtoyer le sol, attendant un signal de sa part pour me redresser.

Les terres du clan du Scorpion étant voisines à celles du clan de la Grue mon voyage n'aura pas été très long. J'ai apprécié les paysages pour leur qualité pittoresque, m'attardant légèrement pour capturer dans mon esprits ceux qui pourraient finir sur l'une de mes toiles. Que ce soit la rigueur des plaines qui s'éveillent du rude hiver, la beauté sauvage et mystérieuse d'Osari Mori, ou encore le raffinement sophistiqué de Shizuka toshi... Force m'est de constater que la réputation d'esthétique soignée des Grues n'est pas volée.

Arrivée avec assez de temps pour me rafraichir je ne manque pas de m'assurer d'être présentable devant la magistrate. Je rajuste ma coiffure, m'assure que mes vêtements de voyage ne sont pas souillés et que je ne ferai honte ni à mon clan, ni ma famille, ni mon Daimyo. Je porte les couleurs de mon clan, le rouge et le noir ainsi que le flamboyant mon de ma famille, probablement la moins connue du clan du Scorpion. Si je suis une demoiselle agréable à regarder, je ne me démarque cependant pas de la Rokugani traditionnelle. De taille plutôt dans la moyenne basse, mes longs cheveux noir sont regroupés en un chignon sur le haut de mon crâne, le reste de la longueur retombant savamment jusque sous mes omoplates. Mon visage a des traits doux ou percent deux yeux noirs mélancoliques. J’affiche un air résolu, me fendant d’un timide et fugace sourire à quiconque m’en adresse un avant de reprendre mon sérieux.

Mes gestes sont mesurés et ma démarche assez gracieuse, dénotant à défaut d’un entrainement rigoureux, un certain entrainement physique. J’ai observé les lieux et les autres invités autant que la politesse me le permet. Mon regard c’est illuminé à la vue de l’envoyée du clan du Phénix sans que je m'y attarde et lorsque vient le moment de saluer la magistrate je m’atèle avec déférence et courtoisie. Je m’incline, le buste baissé à l’horizontale d’une façon approprié à la différence de rang et reste ainsi jusqu’à ce que la magistrate ne nous fasse signe.

Le long voyage qui ma menée jusqu'au clan de la Grue a été une véritable libération, j'ai pu me fondre dans les campagnes, plaines et forêts de Rokugan et retrouver mon élément, chevauchant mon puissant destrier Utaku.

Equipée d'une armure d'une qualité digne des plus grands artisans du clan de la Licorne, mon avancée à l'approche de la ville se fait au ralenti marquant mon envie de me jeter dans le nid de serpents cachés dans la ville de Shizuka toshi. Un peu avant d'entrer dans cette magnifique cité, je met pieds à terre, respire un grand coup et avance d'une marche souple et régulière, mes épaules et la tête droite, mon visage affichant l'esquisse d'un sourire aux réactions dégagées par mon destrier que je laisse aux soins des palefreniers de l'écurie après m'être assurée qu'il sera entre de bonnes mains.

Etant arrivée avec un peu d'avance, je profite de ce temps pour me changer et arborer une tenue de cérémonie et me rafraîchir pour me débarrasser des effluves de l'équidé. Mes cheveux aussi noirs que mes yeux sont attachés par un long ruban rouge, retombant à la base de mon cou, mon regard est convivial arborant un sourire discret et très engageant à quiconque m'adresserai la parole.

La vue de la Doji Saori me fait légèrement rosir les pommettes tandis que je m'avance dans sa direction, foulant les graviers d'un pas léger. A une distance que j'estime convenable, je m'arrête et m'incline aussi bas que ma tenue le permet et maintiens cette position tout comme les deux individus me précédent.

Quelle que fut la durée de mon voyage, ce dernier s'achève bien trop vite à mon goût. J'en ai apprécié chaque vision, chaque odeur, chaque moment, m'imprégnant de chaque endroit traversé pour tenter d'en graver le souvenir dans ma mémoire. De fait, la vue d'Osari Mori et celle de Shizuka toshi sont pour moi comme l'aboutissement d'un chemin de nouveautés à découvrir.

J'ai pris le temps de me changer, troquant ma tenue de voyage pour une plus caractéristique des Shugenja, au couleur de mon clan et ornée du môn de ma famille. Aussi caractéristique que le wakizashi à ma ceinture, dont le foureau est entouré d'un encombrant noeud de paix le rendant impossible à utiliser comme arme.
Plutôt menue et de petite taille, le visage fin, mes longs cheveux noirs sont relevés en un chignon haut dans lequel est planté un peigne décoré de fleurs et de perles.

Je profite du temps qu'il me reste pour admirer cette si belle cité, mes yeux sautant d'un détail à un autre dans une discrétion toute relative, veillant toutefois à ne pas arriver en retard. Je musèle rudement ma curiosité avant de me présenter au courtisan, n'affichant plus qu'un sourire aimable. Ce sourire ne me quitte plus, allant jusqu'à s'agrandir d'un millimètre tandis que mon regard s'illumine en miroir à celui de l'envoyée du Scorpion.
Le millimètre comme la lueur de mes yeux s'effacent aussitôt et je m'incline à mon tour face à la magistrate, aussi bas que la différence de rang l'exige, maintenant la position aussi longtemps qu'il le faudra.

Le voyage depuis les hautes montagnes dans lesquelles est logé mon monastère fut probablement un des plus long. Pas forcément par la distance parcourue, mais plutôt par la difficulté du terrain et par le fait qu'il a principalement été fait à pied, ou sur une lente charrette. Ce fut pour autant un émerveillement de tous les instants, la découverte d'un vaste monde riche de vie, d'animation, de bruits et d'odeurs insolites. Et c'est presque hagard de sensations nouvelles que Togashi Yasuhiro arrive enfin a destination.

Je suis arrivé plusieurs jours en avance, quitte à devoir marcher très tôt le matin avant l'aube, ou bien après le coucher du soleil. Je sais que j'aurai du mal à trouver mes repères dans cette grande ville, et je veux prendre le temps d'en saisir la topographie et les habitudes. Aussi serai-je resté de longues heures assis en tailleur sur un banc, sur une pierre, ou sous un arbre, à regarder les passants et les habitants de cette grande et belle cité. Mon apparence singulière, le peu d'habits que je porte pour me protéger du froid, et les tatouages massifs qui ornent mon corps ne seront pas passés inaperçus. A moins que ce ne soit le jeune renard qui dort, gambade et glapit constamment à mes cotés.  

La veille de l'entretien, j'ai pris soins de faire laver et brosser mes vêtements de voyage. Les seuls vêtements que je possède et que je porte. Amples, robustes, fonctionnels, ils sont tous de couleur verte, réhaussés de doublures et de rebords jaunes vifs, propres aux couleurs du Clan du Dragon. Je me suis lavé à l'eau claire après un entraînement matinal écourté, et me suis rendu sur place avec la missive dans une main et mon bâton de marche dans l'autre. J'ai commandé au renard de m'attendre sagement à la porte de la magistrature, avant d'entrer et d'attendre poliment, visiblement mal à l'aise.

Une fois que vous serez toutes et tous entrés, je m'avance enfin. Malgré ma grande taille et un corps aux muscles denses, il se dégage une aura de jeune garçon qui ne sait pas trop ce qu'il est censé faire, ni pourquoi il est là. A la vue de la Magistrate d'Emeraude, et de vos saluts respectifs, j'incline mon corps selon le même angle, avant de m'assoir en seiza en silence, le regard baissé sur mes genoux.

Sans trop vous faire attendre, la magistrate s'incline à son tour, légèrement, incitation tacite à vous relever. Ce faisant, elle s'adresse à vous d'une voix aux intonations maîtrisées, croisement savamment dosé d'autorité et de douceur.

"Kakita-san.... Isawa-san.... Yogo-san.... Utaku-san..."

Elle laisse filer un instant, mais se reprend aussitôt.

"Togashi-san..."

Le suffixe vous élève, car il vous désigne comme ses égaux. Néanmoins, vous ne vous y trompez pas : vous ne pouvez pas faire de même, car ce serait grossier, irrévérencieux. A nouveau, elle laisse le silence ponctuer la dernière salutation, laissant peser la solennité de la rencontre sans qu'elle ne devienne trop lourde, avant de faire résonner sa voix.

"Je vous remercie d'avoir répondu si... ponctuellement... à mon invitation. Je suis Doji Saori, magistrate d'émeraude, et voici Daidoji Nobu-san, fidèle ami et serviteur zélé de notre Divin Empereur."

A son tour, Daidoji Nobu s'incline face à vous, à 45 degrés, les yeux s'adaptant au mouvement pour rester à votre hauteur.

Je ne relève pas la légère méprise sur mon nom ; après tout, tout le monde à le droit de se tromper et de se reprendre. Et il semble que les magistrats d'émeraude ne fassent pas exception. Je m'incline donc à nouveau, en la saluant "Doji-sama", et me relève prestement, tout en souplesse.

Je me tourne vers le guerrier, et le salue à son tour, en m'inclinant légèrement plus que 45° (mais pas à l'horizontal tout de même), en le gratifiant également d'un "Daidoji-sama"enjoué.

Après quoi je me retourne a nouveau vers la magistrate, un sourire poli sur les lèvres. Je m'apprête à dire quelque chose, mais je me reprends et me tais, alors que les autres personnes convoquées s'animent également pour répondre à l'invitation de se relever.

Lorsque le yojimbo nous est présenté je m'incline un nouvelle fois, un peu moins bas que précédemment mais marquant tout de même une forte dose de respect. Je m'incline à nouveau, brièvement cette fois, en saluant vocalement la magistrate avec sérieux et respect :

"Doji-sama, Daidoji-sama, c'est un honneur que de me trouver en si illustre compagnie."

Je me me tiens droite et fait preuve d'une patience imperturbable tandis que chacun se présente.

A l'instar de mes compagnons, je me suis relevée à l'énoncé de mon nom, puis inclinée de nouveau lorsque la magistrate présente le gardien qui l'accompagne. "Doji-Sama".

Je me tourne ensuite légèrement vers l'homme aux cheveux blancs, m'inclinant juste un peu plus bas que lui : "Daidoji-Sama".

J'attends ensuite dans une apparence de calme, masquant de toute mes capacités la curiosité que je pourrais ressentir.

Je profite du signal donné par Doji Saori pour me relever, puis après l’avoir écoutée religieusement, je m’incline de nouveau avec toute la révérence de mise devant Daidoji Nobu, présenté ni plus ni moins que comme un proche du Fils des Cieux.

- C’est un immense honneur que de faire votre connaissance en répondant à votre invitation, Doji Saori-sama.

Je retiens gracieusement tout mot supplémentaire, laissant toute latitude à notre hôtesse pour dissiper selon son bon vouloir la question non formulée qui flotte dans l’air.

Les premiers mots de Doji Saori caressent mes oreilles, et je maintiens une position légèrement courbée lorsqu'elle s'adresse à nous comme nos égaux.

Un peu surprise par ce suffixe, j'attends que les autres invités se présentent tour à tour avant d'énoncer d'une voix clair.

C'est un honneur de me trouver en votre présence Doji-sama, j'accentue mon inclinaison tandis que je prononce son nom, puis je me redresse et me tournant vers l'homme Daidoji-sama, c'est un honneur également. en m'inclinant à nouveau.

Son regard passe sur chacun d'entre vous au gré de vos premiers mots, sans s'y arrêter - si ce n'est peut-être un peu plus longuement pour Kakita Jin, mais n'est-ce pas là qu'une impression ?-. Les samouraïs de clans moins élevés y seraient probablement moins sensibles, mais vos éducations, écoles comprises, ne laissent aucun doute pour vous : vous êtes jugés en ce moment même. Comme à chacun de vos gestes depuis la fin de votre Gempukku, à ceci près que vous venez d'être propulsés dans l'écheveau impérial et que le faux-pas en est d'autant plus périlleux.

Doji Saori ne laisse pas planer le suspense plus que de raison, et reprend la parole après un silence savamment mesuré :

"Si vous voulez bien m'accorder encore quelques mètres, je vais dissiper le mystère qui vous a fait parcourir ces distances."

Là encore, il ne fait aucun doute que votre volonté n'est qu'illusoire: refuser la proposition d'une Magistrate d'Emeraude jetterait l'opprobre sur votre nom, en même temps que cela reviendrait à nier la supériorité de celui dont elle tire son pouvoir. En revanche, le fait qu'elle choisisse cette formulation vous permet de recevoir le respect dû à votre rang : en faisant comme si vous pouviez refuser, elle marque la distinction entre vous et une classe moindre pour laquelle on ne daigne pas imaginer l'absence de consentement.

Après cette invitation superfétatoire donc, la magistrate, qui vous semble tout de même bien jeune pour un tel statut, se déplace vers l'un des bords de la cour autour de laquelle courent des couloirs aux planchers de bois sombre impeccablement entretenus. Le courtisan qui vous a accueilli a manifestement anticipé -ou connaissait- la volonté de la jeune femme de pouvoir, car durant les présentations il s'est discrètement déplacé, au point de pouvoir faire coulisser un panneau shôji lorsque vous arrivez à proximité. Il s'incline tandis qu'elle pénètre la salle ainsi ouverte.

Il se redresse un court instant, et s'incline à nouveau lorsque le premier d'entre vous est sur le point de franchir l'entrée, ne se redressant à nouveau qu'une fois que le dernier en a passé le seuil. A l'intérieur, au fond de la pièce, une légère estrade donne un peu de hauteur pour celui -et en l'occurrence assez rapidement, celle - qui s'y trouve. Sur le sol de la salle recouvert de tatamis, perpendiculaires à l'estrade et se faisant face, deux lignes parallèles de cinq zabutons doivent permettre à des invités, ou des élèves, de conserver un minimum de confort une fois en seiza.

Une fois tout le monde entré, le courtisan referme le panneau, Daidoji Nobu étant resté à l'extérieur. Il n'est pas socialement accepté d'utiliser des choses écoutées à travers un panneau shôji, mais ce n'est pas la même chose si des mots prononcés à volume trop important passent le papier et franchissent le seuil d'une oreille qui n'y prêtait pas attention n'est-ce pas ?

Lorsque la magistrate a pris place sur l'estrade, s'asseyant gracieusement, le courtisan vous invite d'un geste du bras à prendre place sur les zabutons, s'inclinant, yeux baissés vers le sol, sans indiquer qui devrait prendre quelle place. Le geste et l'attitude, même pour les moins traditionnels d'entre vous, ne laissent guère de doute sur ce qui se passe : aucune place ne vous est spécifiquement dévolue, charge à vous de vous arranger.

Doji Saori attend que chacun soit positionné et assis, que vous affichiez tous une attitude démontrant que vous êtes en confort, prêts à écouter, avant de faire entendre sa voix de nouveau.

"Samouraïs-san, les troubles de ces temps nous obligent. La justice et l'ordre du Trône du Chrysanthème vous honorent en me permettant de vous inviter à entrer à mon service pour une mission d'importance. Proche du Port qui ne Dort Jamais, sur les terres de l'honorable clan du Crabe, quelques villages auraient manqué à leurs obligations à l'impôt. Un problème rare en Rokugan, mais chaque fois réglé par les Daimyos ou magistrats locaux.

Cependant, " poursuit-elle après avoir laissé un silence parfaitement calculé, "ce refus de l'Ordre semble s'étendre. Quelques convois auraient même été attaqués, après avoir fait leur collecte. Le clan du Crabe a déjà fort à faire avec les attaques renouvelées de l'Outremonde, et la nature même de ce bouleversement nous poussent à agir, même si vous comprendrez qu'il s'agit bien de respecter l'honneur du Clan."

Un silence tout aussi calculé permet à la jeune magistrate de jauger vos réactions, avant de poursuivre.

"Certaines informations, non vérifiées à ce jour, laisseraient entendre que la Secte de la Terre Parfaite pourraient être liée à cette affaire, ce qui, si cela était avéré, serait un pas de plus qu'il ne fallait pas franchir. Serez-vous prêts, représentants ici de vos clans respectifs, à œuvrer pour élucider les causes de ce trouble, et d'y remédier ?"

En entrant dans la pièce, je reste quelques courtes secondes pensif quant à la disposition des zabutons. Pourquoi en préparer dix alors que nous ne sommes que cinq ? Est-ce que l'on attend encore d'autres personnes ?

Dans mon indécision, je me rappelle que le Clan de la Grue est surnommé "la main gauche de l'Empereur", aussi je me dirige vers la ligne de zabutons à la gauche de la Magistrate. Ne sachant où me placer sur la ligne, je choisis la voie du milieu, et prend donc la troisième place. Je me mets en seiza sur cet débauche de confort, et attend patiemment la suite en posant mon regard sur le sol, légèrement devant moi.

Avant que le panneau ne se referme, je jetterai toutefois un regard à Daidoji-sama, afin de vérifier quelle attitude il adopte. Est-ce qu'il attend patiemment ? Est-ce qu'il se place en faction tel un garde protégeant la pièce où nous sommes ?

Puis j'écoute le discours de Doji-sama, les yeux presque clos pour intégrer et retenir les informations importantes. Clan du Crabe, impôts, Port qui ne Dort Jamais, Secte de la Terre Parfaite… Tant de noms et de concepts si éloignés de mes préoccupations habituelles ! Ne souhaitant pas céder à l'inconfort grandissant face à la charge qui nous attend, je m'oblige au calme en contrôlant ma respiration et absorbant le discours de Doji-Sama sans chercher à l'interpréter pour le moment.

Pénétrant dans la pièce, je retiens tout mouvement pour prendre place, afin de permettre aux autres invités de s'installer les premiers. Je ne suis certes pas l'hôte, mais je ne peux pas m'empêcher de penser, vu le lieu et les personnes importantes présentes, que mon clan l'est. Ainsi, j'affiche sur mon visage une sérénité tranquille et avenante en attendant que chacun se décide.

Je m'arrête aux côtés du jeune samurai de la grue pour observer la disposition de la pièce, non sans avoir observé sa tranquille sérénité, moi-même ne me départant pas de mon stoïcisme affiché. Je ne reste cependant pas et prend place à la suite de l'envoyé du clan du dragon, sur la dernière place de la même file que celle que mon prédécesseur a occupé.

J'écoute les propos de la magistrate avec concentration, notant mentalement les informations qui nous sont livrées. Je baisse ensuite la tête et prend la parole, sans hâte et avec rigueur.

"Le clan du scorpion est toujours honoré de répondre a l'appel d'une estimable Magistrate d'Emeraude, et je suis doublement honorée que cette digne tâche m'ait été confiée, Doji-sama."

Je marque une pause après les politesse de circonstances, mais mon ton marque que je n'ai pas totalement terminé. Néanmoins, loin de vouloir monopoliser l'attention je m'attèle à poser ma question avec concision et une pointe de prudence :

"La convocation de deux shugenja laisserai entendre que l'influence des kamis est pressentie ?"

Pénétrant dans la pièce à la suite des autres, j'observe la pièce d'un regard discret et vient sans attendre prendre place aux côtés de Togashi.

J'écoute le discours de la magistrate, m'imprégnant de chaque mot et chaque intention, veillant à ne rien laisser paraître de ce qu'ils m'évoquent. Je veille aussi à ne pas rompre le silence, ne souhaitant pas interrompre une potentielle réponse de la magistrate à Yogo-San, et me contente de m'incliner de nouveau.

J'entre à mon tour dans la pièce, et prends place à mon tour sur les zabutons choisissant la rangée opposée afin de faire directement face à la Yogo et au moine.

Les premières questions pertinentes ont été posées, et j'attends patiemment la réponse, laissant en suspend une question qui me brûle les lèvres.

Le silence fait suite à la question de Saeko, la magistrate tournant son visage rendu impeccablement inexpressif pour poser les yeux sur la jeune Yogo. Un très mince, très bref mais affable sourire fait irruption sur son visage, puis elle retrouve un masque parfait, avant d'apporter une réponse.

"Comme vous le savez, l'honorable Clan du Dragon a réputation de surgir dans les pages de l'Histoire à des moments aussi importants qu'inattendus. Il se trouve que peu de temps après que nous ayons eu connaissance de ces fâcheux événements, un messager du Clan a demandé audience afin de nous livrer une liste précise de Samouraïs recommandés pour la gestion de l'incident."

Un silence mesuré ponctue la révélation, puis une fois certaine que chacun a bien saisi le sens de celle-ci, la jeune femme de pouvoir poursuit.

"Parmi les quatre Samouraïs recommandés, deux Shugenjas dont vous, Yogo Saeko-san. Il semble évident que nous ne pouvons laisser un incident devenir une crise, et que du moment où nous décidons d'agir, il serait peu sage de ne pas tenir compte de cette étrange intervention.

D'autant que, même si je ne puis répondre à votre question, votre supposition paraît parfaitement sensée. J'ajouterais qu'au regard de la localisation des villages, vous ne serez pas si loin de l'Outremonde, ce qui pourrait rendre l'apaisement de Kamis plutôt trivial, en comparaison."

Chacun ayant pris place, je m'installe à droite au premier rang afin d'être au plus proche de Doji Saori-sama. J'écoute ensuite ses propos silencieusement, voire un peu songeur, en apprenant l'intervention du clan du Dragon avec la transmission de cette fameuse liste. Je retiens néanmoins tout regard vers le moine, le supposant à la même enseigne que nous autres.

Le silence revenant, cette fois je ne patiente pas davantage avant d'agir et j'interviens d'une voix posée et polie.
- Doji Saori-sama, je serai honoré de représenter le clan de la Grue dans cette mission. Il ne m'appartient sans doute pas de comprendre maintenant pourquoi mon nom est dans la liste transmise par l'honorable clan du Dragon, mais vous pouvez compter sur mon investissement total à votre service.

Je m'incline profondément en remerciement à la réponse qui m'est offerte et n'ajoute rien de plus, laissant à mes futurs camarade le loisir de prendre la parole à leur tour.

A l'annonce de l'intervention du Clan du Dragon, je relève la tête, en soulageant les dernières tensions dans une expiration discrète par le nez. Je tourne ensuite la tête vers Doji-Sama, puis vers l'ensemble des quatre samuraïs choisis, pour tenter de percevoir et de comprendre leur réaction.

Voici donc très probablement la raison de ma présence en ces lieux : accompagner ces samuraïs et leur assurer le soutien du Clan du Dragon, après qu'il les ait nommément choisi. Il existe certainement d'autres raisons encore cachées dans les méandres du destin, mais elles nous seront révélées en temps voulu.

Pour l'instant, je profite intérieurement de la sérénité apportée par les explications de Doji-sama. J'en oublie pour le reste de l'entretien la charge qui est désormais sur nos épaules, et la probable dangerosité de la mission qui nous attend sur les terres du Crabe. Et j'écoute désormais plus attentivement les indications et les conversations, en regardant poliment les intervenants dans les yeux.

Mon attention est entièrement tournée vers Doji-sama dont je tente de lire -et d'interpréter- la moindre expression, le moindre de geste. Apprendre qu'un clan lointain m'a recommandée personnellement manque néanmoins de me sortir de l'attitude digne et figée que je me suis constituée et je me retiens à grand peine hausser les sourcils, sans pour autant bouger le reste de mon corps.

Je ne doute pas que la magistrate soit aisément capable de voir et de comprendre une telle réaction, mais j'espère que ce n'est pas le cas des samouraïs qui m'entourent... ne serait ce que par nos positions respectives dans la pièce. Je me reprends rapidement et, une fois certaine de n'interrompre personne, prends la parole à mon tour en m'inclinant :

Ce sera également un honneur pour moi, Doji-sama, de représenter le clan du Phénix et d'être à votre service.

La magistrate acquiesce de façon quasi imperceptible à chacune de vos interventions. Son regard se pose alternativement sur chacun d'entre vous, avant de compléter :

"Le premier village à s'être soustrait à son Devoir est le village de la Dernière caresse de l'Aube, sis le domaine du Clan du Crabe donc. Le second est celui du Rempart de l'Est, toujours sur le même Territoire. Un troisième, le Village de la Lune bleue, est sis le domaine de mon Clan, ainsi que le quatrième, le Village du souffle de l'Ecume. Ce dernier étant le plus proche du Port qui ne dort jamais."

Un petit silence pour laisser assimiler les informations, ne pas oppresser ses interlocuteurs de mots qui en deviendraient inaudibles, puis la jeune femme poursuit son explication, avec une égale maîtrise de sa diction et son attitude.

"La mission que je vous confie est de faire cesser cette série d'incidents, que la menace de troupes ne parvient pas à étouffer, avant qu'ils ne parviennent au Port, ce qui serait très préjudiciable. Deux choix vont s'offrir à vous : commencer par là où tout a commencé, sur le Clan du Crabe, ou faire barrière à proximité du Port, et remonter vers l'origine."

Un très léger pincement aux commissures des lèvres de Doji Saori marque un nouveau petit arrêt, avant la suite :

"Le Clan du Dragon a toute ma confiance, aussi puisque vous avez été recommandés par lui, vous aurez toute latitude pour le choix des méthodes."

Un très bref regard vers l'entrée de la pièce, puis elle poursuit tandis que le courtisan qui vous a mené ici entrouvre très légèrement le panneau Shoji. Un détail sur lequel vous n'avez pas trop l'occasion de vous arrêter, absorbés par la Magistrate qui s'adresse à vous.

"J'ai pris la liberté de vous faire préparer des laisser-passer pour tous les territoires que vous aurez à traverser, ainsi qu'un document attestant de votre rôle auprès d'une Magistrate d'Emeraude. Libre à vous, au regard du contexte, d'en faire usage ou non."

Le Courtisan s'approche alors après avoir refermé le panneau, et dépose discrètement sur votre côté droit -laissant libre votre côté gauche où se trouvent les poignées de vos sabres- une petite plaquette de bois ainsi qu'un document de papier épais et cacheté.