Chapitre 1 : Un recommencement

De là où je suis, sourire naissant sur les lèvres, je réponds à Qasim, volume de voix maitrisé pour être entendu de l'intéressé sans jamais atteindre un volume trop élevé.

"Il y a une raison, oui : ton corps te dit qu'il a hâte de retrouver cet état de grâce avec lequel l'entraînement ne le fera plus souffrir. Ces douleurs sont un encouragement, et Mékios est l'enseignant idéal pour atteindre cet état."

Et d'accentuer légèrement mon sourire, laissant ledit Aube béni d'un Dieu continuer son office.

Je rigole à la réplique de Sahia à Qasim, avant d'en rajouter une petite couche :
- Je ne sais pas si je suis l'enseignant idéal, mais je confirme que tu prends les signaux de ton corps en sens contraire Qasim. Ton corps te hurle qu'il est rouillé et mal traité par le manque d'efforts, et qu'il a besoin que tu en fasses plus pour te sentir bien. Et donc, c'est ce que nous allons nous employer à faire.

Les heures qui suivent sont une alternance d'exercices basiques : la garde, la défense, les rudiments de l'attaque.
Et puis, bien sûr, il faut varier les plaisirs, en passant à d'autres techniques : le combat à mains nues, la lance, les armes de jet, et je propose à Sahia de prendre le relai pour l'archerie.

Le but de tout cela, outre le fait de donner quelques bases qui pourraient sauver la vie de mes compagnons, est aussi de découvrir les prédispositions de chacun et chacune aux différents types de combat, afin de m'appuyer dessus par la suite.

Si je n'avais pas particulièrement prévu de me joindre à l'exercice, voir tout le monde ainsi uni dans ce moment m'inspire, et je viens rapidement participer à mon tour. Je suis élève studieuse et je m'applique à exécuter chaque chose avec soin et application, encourageant tous, moi y compris, lorsque les exercices deviennent difficiles.

Les heures s'enchainent, aussi semblables par l'effort que différentes par les techniques abordées. Qasim et Rinwell se découvrent rapidement des muscles que le marchand n'avait jamais imaginé, et que la médecin ne connaissait qu'en théorie. Sheherazade suit avec bien plus de facilité, habituée qu'elle est à l'exercice physique.

Tous les moyens à disposition sont mis en oeuvre, toutes les armes présentes dans la salle sont essayées, manipulées. Et si la plupart sont une réelle découverte pour les novices (à l'exception du lancer de couteau que le frère semble pratiquer occasionnellement), il devient vite évident pour Mekios que le combat à mains nus, lui, ne l'est pas.
Sheherazade ne se cache pas de son propre apprentissage, limité certes mais bien réel, tandis que Qasim et Rinwell de leur côté ne savent tout d'abord pas bien quoi faire de leurs membres. Et pourtant, pourtant... les uns comme les autres acquièrent au fil des heures une fluidité étonnante, une progression que l'instructeur n'a jamais observé chez aucun élève mortel. L'Aube pousse même l'exercice au delà de ses prévisions initiales, tant en durée qu'en difficulté, et tous parviennent ensemble à la même conclusion : leur propre passé ne recèle pas seulement des trésors de connaissance, mais aussi de capacités à (re)découvrir.

Quand les cinq jeunes gens quittent enfin la salle d'armes en direction du terrain d'archerie, ils découvrent un soleil bien plus bas sur l'horizon que ce à quoi ils s'attendaient. Le temps a passé vite, bien plus vite que prévu, et surtout bien plus vite que ce que leurs fatigues respectives les avaient laissés croire...

A l'issue de ces heures d'exercices endiablés, je m'aperçois à quel point notre nature nouvellement révélée nous rend différent du commun des mortels. J'ai un sourire qui point sur mes lèvres, témoin de mon appréciation pour les efforts déployés et les révélations importantes avec lesquelles nous clôturons la session.

Et c'est avec un certain enthousiasme que je passe le témoin à Sahia :
- A toi de jouer, essayons d'ajouter quelques cordes à ton arc.

J'apprécie moi aussi les efforts déployés ainsi que ce qui se créé généralement dans ce genre de contexte. Je semble par ailleurs apprécier particulièrement le style de Sheherazade, moi-même adepte de mouvements dextres et coulés. Puis j'esquisse un large sourire à entendu à la dernière remarque de Mékios, appréciant la tournure de phrase sans m'en cacher. Je prends alors position pour que chacun puisse me voir et invite chacun à s'équiper d'arc et flèches.

Une fois que c'est fait, je lance à la cantonade :

"Mon premier maître archer avait coutume de dire qu'un Archer ne projette pas une flèche mais son esprit. En ce qui me concerne, je vous conseille plutôt d'ancrer votre esprit là où il est. Mais quant à ce qui est de la flèche en revanche..."

Et d'entamer ainsi des exercices visant soit à aider les souvenirs ancestraux à remonter à la surface, soit à fournir les connaissances de base. Qu'il s'agisse d'arc court, long, les différents types de flèches, les paramètres à considérer -direction et force du vent, les moyens d'obtenir l'un comme l'autre en observant l'environnement-, les positions à adopter, tout y passe.

A en juger par la façon de présenter les choses, d'encocher puis envoyer des flèches sans regarder ni l'arc ni la flèche, concentrée sur celles et ceux à qui je présente les mouvements, on peut facilement penser que le maître précédemment mentionné ne doit plus avoir grand chose à m'enseigner dans ce domaine. Toujours prête à répondre aux éventuelles questions, à aider ceux qui en feraient la demande à parfaire position ou geste, je me prête au jeu de l'enseignement martial avec une bienveillance doublée de rigueur.

Et chacun se prête à nouveau à l'exercice, profitant tant qu'elle dure de la lueur de l'astre, sans qu'aucune connaissance du passé ne semble cette fois ressurgir : Qasim, Rinwell et Sheherazade découvrent les bases de l'archerie pour la première fois de leur vie tandis que Mekios approfondit ses connaissances -cette fois bien en deça de celles de Sahia.

Le soleil poursuit sa course et la luminosité viendra sans doute à manquer d'ici une heure au plus quand un cri strident retentit, aussitôt suivi d'un second. L'un comme l'autre définitivement animal, les cris se répètent encore une fois, puis deux, comme si les deux volatiles -car le doute n'est pas permis- se répondaient.
Ceux d'entre vous qui lèveraient les yeux au ciel ne tarderont pas à voir apparaitre les deux oiseaux. Le plus grand est aussi noir que le plus petit est blanc et poursuit ce dernier un instant, avant que quelques battements d'ailes n'inversent brusquement la tendance et que le faucon blanc semble cette fois chasser l'aigle noir presque deux fois plus grand que lui, au détriment de toute logique animal. Et la danse se poursuit, presque inlassablement, rythmée par les cris réguliers des deux oiseaux.

Je relève alors la tête vers le ciel et souris en apercevant les deux majestueux volatiles puis penche la tête de côté, observant l'étrange ballet martial qu'ils semblent décidés à mener. Puis je ramène les yeux à notre hauteur, analysant du regard les expressions de mes compagnes et compagnons.

Je lève les yeux dès que j'entends les cris des oiseaux, observant sans mot leur étrange danse. Contrairement à Sahia, je ne regarde pas l'expression des personnes autour de moi, mais je continue de contempler les deux oiseaux, bien que je regarde plus le grand que le petit. Mon visage montre tout l'étonnement et la perplexité que je ressens face à ce comportement étrange. Finalement, j'interpelle l'un des oiseaux :

"Fionn ?"

J'observe le ballet aérien à la fois curieux et magnifique avec plaisir et curiosité.

Lorsque Rinwell prononce ce simple mot, il est évident qu'elle semble à priori reconnaitre l'un des magnifiques rapaces.

Je note mentalement ce qui semble être un appel de Rinwell, esquissant un léger sourire en coin tandis que je relève la tête, tends le bras puis lance : Itsu !
Même si le volume de ma voix est calculé pour être entendu à une certaine distance, la tonalité n'est pas celle de l'ordre, mais plutôt celle de l'invitation.

Puis, parlant à volume moindre, mais suffisant pour être entendue de mes frères et sœurs de Cercle : "bien que cela paraisse un peu étrange à dire comme à penser... aimeriez-vous retrouver nos tombeaux ?"

Alors que la journée avance à grands pas, je me laisse surprendre par le cri des volatiles, je lève aussitôt la tête pour en trouver son origine.

Mon regard est fixé sur la danse du faucon et de l'aigle, puis je reporte mon attention sur le cercle en secouant la tête. Ma surprise est accentuée lorsque j'entends Rinwell et Sahia appeler les volatiles.

"Ces... choses portent un nom ?" Mais mon étonnement est bien vite détourné dès lors que Sahia prononce sa dernière phrase. Un éclat de curiosité illumine mon visage tandis que je lui réponds :  "S'il s'agit de notre passé, je vous suis. S'il s'agit de ma future tombe, le plus tard possible, merci."

Le ballet se poursuit un instant, quelques secondes, juste le temps pour Sahia de poser sa question et pour Qasim d'y répondre. Le faucon lance aussitôt un cri et fait un brusque demi-tour, abandonnant la poursuite de son compagnon de jeu avant de se piquer brusquement droit vers votre groupe. L'aigle reste silencieux mais ne tarde pas à faire de même, sans parvenir à rattraper son retard du fait de la faible distance à parcourir. Les deux volatiles poursuivent à pleine vitesse, ne déployant leurs ailes que pour éviter d'atteindre leur cible de plein fouet et se contentent de frôler le marchand, le cri de l'oiseau noir venant cette fois couvrir celui du blanc.

Le faucon effectue un nouveau demi-tour rapide et ralentit son vol à un mètre à peine de Rinwell, avant de se poser sur son épaule en quelques battements agiles. Puis il pousse un nouveau cri, à peine audible cette fois, avant de frotter son bec contre la joue de la jeune femme.
L'envergure supérieure de l'aigle le contraint à un mouvement plus ample, et il finit par se poser sur le bras tendu de Sahia, s'adressant lui aussi vocalement à sa maitresse.

Pour Rinwell:

Pour Sahia:

J'ai un petit sourire lorsque Sahia appelle l'un des oiseaux, qui disparaît pour laisser place à la surprise face à sa question. Je suis tout simplement outrée par le mot choisi par le marchand, mais redeviens vite souriante face au salut de Fionn. Je prends la parole à l'intention de Qasim, un air de reproche non dissimulé envers lui :

"Ce ne sont pas des objets ! Et pour votre gouverne, Fionn vous comprend, et très probablement qu'Itsu aussi. Oui, ils ont un nom ..." Je reprends mon air plus habituel, continuant pour tout le monde cette fois : "Je suis du même avis que Qasim. Cette redécouverte serait intéressante, mais si c'est celui que nous aurons plus tard, je préfèrerai attendre trèèès longtemps."

Je pars de nouveau dans la lune, avant de revenir sur terre et de reprendre :

"Et j'aurais moi aussi quelque chose à proposer ... sans aucun doute bien différent, mais je pense que ce serait très utile ..."

J'observe les oiseaux descendre, ravie de voir ces prédateurs si pleins d'une grâce sublime et mortelle s'approcher de nous, tout en répondant d'une voix tranquille.

"Cela pourrait être étrange dans d'autres circonstances, mais il est probable que nos tombeaux puissent nous en apprendre plus sur nous-même, notre cercle, peut-être même nos objectifs ?"

La question étant purement réthorique, je n'ajoute rien et patiente sachant que visiblement une autre proposition nous attends.

Je fronce également les sourcils au qualificatif employé par Qasim, me tournant vers lui à cet instant. Néanmoins je ne m'attarde pas sur le sujet, Rinwell le faisant très bien pour moi. Un sourire vient même orner mes lèvres tandis que le majestueux animal se pose sur mon bras. Un léger rire ponctue même les cris de l'Aigle, et je reste un instant à le caresser sous le bec, sur le poitrail.

A mon tour je m'exprime, sans quitter l'animal des yeux, souriante.

"En effet, ils ont des noms. Et Itsu comprend effectivement ce que nous disons."

Puis après quelques nouvelles secondes de silence, je me tourne vers Sheherazade, sans cesser de caresser ledit Itsu.

"Je suis d'accord. Et même peut-être, qui sait, récupérer notre matériel de l'époque. J'imagine que ça n'est pas vraiment profaner une tombe, si c'est la notre... "

J'ai observé l'inhabituel ballet et pris note des précisions apportées par les deux propriétaires des sémillants volatiles, sans piper mot.
En revanche, la question faussement innocente de Sahia m'interpelle, et effectivement, une intense lueur d'intérêt s'anime dans mes yeux.
- J'ai très hâte de découvrir cela. Insinues-tu que nos tombes sont groupées au même endroit ? Et que toi ou... vos deux charmants compagnons ailés avez une idée d'où les trouver ?

J'affiche un léger sourire entendu, me tournant vers Mékios. Ce sourire s'élargit légèrement lorsque nos regards se croisent, disant notre complicité manifeste, y compris dans la transmission silencieuse des idées. Je ne prends même pas la peine d'acquiescer avant de répondre.

"Je pense probable notre mort groupée en tout cas. Et si cela s'avère juste, je ne verrais pas de raison d'éloigner nos tombeaux. La question étant, en effet..."

Je me tourne alors vers l'Aigle majestueux, m'adressant directement à lui :

"Es-tu resté sur place jusqu'à ce que ayons été ensevelis ? Pourrais-tu nous mener jusqu'à nos anciens corps ?"

L'aigle laisse aussitôt échapper un cri strident et incline la tête sur le côté, ses yeux bruns rivés dans ceux de sa maitresse. Il fait claquer son bec puis ouvre ses ailes et les fait battre deux fois sans chercher à s'envoler, avant de glâtir à nouveau d'un ton clairement enthousiaste.

Pour Sahia:

Le faucon semble réagir aussitôt à l'enthousiasme de son compagnon de jeu. Il huisse en retour et vient à nouveau frotter son bec contre la joue de Rinwell. Puis il lâche un dernier cri et étend ses ailes qu'il fait battre lentement.

Pour Rinwell:

Je plisse les yeux à ce qui pour moi semble être une réponse. Il me faut cependant un temps de réflexion avant de rattacher les signaux à des idées que je peux comprendre et transmettre. Puis, toujours tournée vers l'animal dont je flatte toujours le poitrail, je dis à la cantonnade :

"Nous avons été manifestement séparés... Itsu pourrait retrouver mon tombeau je pense, et son ami... Fionn ?..." dis-je en jetant un oeil vers le faucon puis Rinwell "....saurait où se trouvent les autres."

Je me tourne à nouveau vers Mékios, retrouvant un léger sourire.

"Je crois que la réponse est donc : oui, nos compagnons des cieux peuvent nous amener à nos tombeaux."

Un rire m'échappe à la réaction du faucon, puis je hoche la tête en signe d'affirmation pour confirmer son nom. J'attends que Sahia termine avant de traduire les "mots" de Fionn :

"Effectivement, il sait ... si j'ai bien compris ce qu'il a dit, le chemin est caché mais il peut le montrer. Et ... je crois qu'il demande si on vient tous."

Je me tourne vers mon familier, imitant la Nuit en lui caressant sous le bec. Mes prochains mots ne sont pas destinés au reste du Cercle mais à Fionn :

"En revanche ... tu parles de tous les corps sauf Sahia, ou juste d'un seul ?"

Fionn ne réagit pas tout de suite à la question, totalement hypnotisé par les caresses que lui procure sa jeune maitresse.
Il finit malgré par pousser un léger cri, son regard perçant passant sur chaque membre du cercle avant de revenir sur Rinwell.

Pour Rinwell:

"Donc ... nous sommes tous séparés. Le chemin est secret, caché, mais il connaît le début du chemin. Et ... la maison, la cascade ... celle que tu m'avais montrée ?"

Mes derniers mots sont adressés à Fionn, mais je n'attends pas sa réponse, observant tour-à-tour Sahia, Mékios, Sheherazade et Qasim. J'attends quelques secondes avant de continuer :

"Quand Fionn est venu me voir la première fois, il m'a montré une maison, cachée derrière une cascade et dans une grotte, que Meira a identifié comme un Manoir. Pour faire court, il s'agit d'un Domaine, un point tellement abondant de Quintessence qu'il en devient dangereux pour une personne qui ne la maîtrise pas, qui a été redessiné pour devenir un refuge. De plus, contrairement aux Domaines, les Manoirs ne sont pas dangereux, et on peut s'harmoniser avec pour puiser dans leur pouvoir. Et pour finir, ils créent un Noyau-Gemme. "

Mon regard se détourne pour revenir vers mon familier, tandis que je finis mon monologue :

"C'était d'ailleurs ma proposition. Il semble que celle de Sahia et la mienne se rejoignent ... car Fionn semble considérer qu'il fait parti du chemin."

Je me gratte la tête un instant, le front légèrement levé, le regard posé sur les deux volatiles.
- moui, j'imagine que nous avons une idée de la direction à prendre désormais. Maintenant, la question est : est-ce que nous attendons la fin de notre formation ou considérons-nous que cette recherche en fait partie intégrante ? En d'autres termes, est-ce que nous nous y mettons immédiatement, ou est-ce que nous patientons encore un peu ?