Chapitre 1 : Un recommencement

J'arbore mon plus beau sourire aux remarques de Rinwell en réponse à mes questions, j'attends qu'elle termine de parler avant de commencer à lui répondre :

"Mais je n'ai absolument pas parlé de const..." L'arrivée de notre hôte m'interrompt dans ma réponse, reportant mon attention vers Meira. Je fronce les sourcils à sa première prise de parole, trouvant que celle-ci fait preuve d'un manque de savoir-vivre certain envers ses invités.

Après avoir entendu le bruit au niveau de la porte, et la voir s'approcher du râtelier, la tension monte. Un mouvement de doigts *clic, clic...*, suivi d'une question "Mais que..." interrompue par le vol plané de Mékios qui atterrit directement sur moi.

Libéré du poids de l'homme-soldat, je me redresse et attrape deux petits couteaux sur l'un des râteliers, couteaux que je lance sans perdre un instant. Un immense regret m'habite, celui d'avoir fait confiance à notre hôte et ne pas avoir fait appel aux services d'un garde du corps. Cette fois, je vais devoir me battre pour ma survie.

Je ne remarque pas tout de suite Meira, me rends compte de sa présence uniquement lorsque Qasim interrompt sa phrase. Je fronce un peu les sourcils en l'entendant dire qu'il "faudra s'en accommoder", puis encore plus lorsque je la vois s'avancer vers les râteliers. Je marmonne un vague ""Mais ...?" en voyant la porte se refermer. J'air un air de surprise en écoutant notre hôte parler de "s'éveiller", qui se change en stupéfaction lorsqu'elle devient invisible et envoie voler Mékios sur Qasim. Je fais un pas en avant, puis reviens à ma position initiale en les voyant se relever.
J'observe Sheharazade se placer devant moi, bouche bée. Je sors finalement de la (probablement maigre) protection qu'elle m'offrait pour m'approcher rapidement des râteliers et saisir une dague, en hésitant sur la manière de la tenir et gardant mes deux pieds presque alignés : je ne sais clairement pas m'en servir.
Je m'exclame :

"Qu'est-ce qu'il vous prend ?!"

Un mince sourire fleurit sur mes lèvres tandis que Rinwell affiche son attachement et son respect à sa ville, aux règles et à la discipline sans pareille. Le retour de notre hôte attire cependant toute mon attention, et je ne m'occupe plus trop des échanges de notre petit groupe. Enfin, les réponses devraient arriver. Les contours du piège dans lequel j'ai accepté de me jeter vont enfin se dessiner.

Et de fait, je commence à froncer sérieusement les sourcils à la tournure que prend le discours de Meira. Ma tête se tourne vers la porte lorsque j'entends le claquement après sa fermeture. Déjà ma main droite commence doucement à s'approcher de mon arc, et la gauche de mon carquois. Ou du moins, les mains s'apprêtent à effectuer le mouvement sans pour autant l'effectuer, car j'espère encore que ce que je pressens n'est qu'une sensation.

Malheureusement les faits viennent confirmer cette crainte. Je le constate avec consternation lorsque Mékios se trouve propulsé vers qasim. Instinctivement, entraînée pour le faire et habituée à m'y trouver contrainte, je remise mes émotions à plus tard, et me contente d'agir sans me préoccuper d'autre chose que remporter la victoire (ce qui ne semble pas gagné).

En ce qui me concerne, pas un mot ne franchit le seuil de ma bouche. Cherchant à éviter le même sort que Mékios, je monte sur la table basse à côté de laquelle je me trouve, tout en encochant une flèche que je lance tandis que la cible cherche qui de nous trois elle va choisir. Et dans le même mouvement, ou du moins l'espérè-je, mes mains se déplacent comme pour encocher une nouvelle flèche. A ceci prêt qu'il s'agit d'une feinte, et que ma réelle action est de saisir ma dague et effectuer un mouvement de taille en tournant sur moi-même, pour le cas où notre hôte me réserverait le même sort.

Je n'ai pas vraiment d'espoir sur la suite des événements, mais comme Mékios, j'ai dans le sang cette conviction que notre vie doit être vendue très chèrement, quoi qu'il nous en coûte.

La flèche de Sahia a beau être d'une précision remarquable, elle n'atteint pas sa cible : Meira la détourne d'un mouvement leste de son bâton avant que les réactions de ses invités ne lui arrachent un sourire - à moins que ce soit les mots de Mekios ? Ce dernier s'équipe et s'élance, de toute la vitesse que sa rage et ses muscles aguerris lui permettent.

Sheherazade de son côté a à peine eu le temps de se positionner devant Rinwell que la jeune femme est déjà partie vers le râtelier, et cette dague qu'elle peine à tenir convenablement. Son exclamation se perd dans la folie de la scène, alors que Qasim se redresse et jette ses couteaux... sans plus de succès que la flèche de Sahia, car Meira a de nouveau disparu.

La jolie blonde réapparait sur le côté de la table qu'elle repousse violemment du pied, restant tout juste hors de portée de la dague de Sahia. Le mouvement déséquilibre malgré tout suffisamment l'archère pour qu'elle ne puisse esquiver le coup suivant, assez violent pour lui briser l'os de l'avant-bras. Le bâton danse sans jamais s'arrêter tandis que Meira disparait encore ; il tourne, virevolte, et vient cette fois heurter le dos de la danseuse, faisant naître au creux de son dos une douleur aigue qui lui coupe le souffle alors qu'elle vole à travers la pièce jusqu'à percuter son frère. Ce dernier amortit le choc comme il peut, sa propre tête venant rencontrer le râtelier avec assez de force pour lui brouiller momentanément la vue.

Cinq invités, tant de possibilités... Meira se concentre malgré tout sur la menace la plus directe et accueille le choc d'un Mekios lancé à toute vitesse sans reculer de plus de quelques millimètres. Nullement surpris, ou assez expérimenté pour réagir en conséquence, le soldat déploie tout son art dans un échange d'une rare violence, qui fait presque vibrer l'air de la pièce. Deux, trois, quatre coups sont portés, et si ceux de Mekios sont tous esquivés ou parés, ceux de la blonde font mouches à chaque fois, meurtrissant ici un muscle, fragilisant là un os. Le dernier coup touche le Shozei au ventre, avec plus de force encore que les précédents, et le fait à nouveau voler jusqu'à percuter cette fois son ancienne compagne d'armes. Tous deux franchissent involontairement les derniers mètres les séparant de Rinwell, qu'ils entrainent -et écrasent- suffisamment violemment contre le mur pour lui couper le souffle. Au vertige qui la prend ensuite et au liquide qu'elle sent couler à l'arrière de son crane, la jeune guérisseuse comprend que ses côtes n'ont pas été les seules meurtries par le choc.

Meira s'interrompt à nouveau, faisant tournoyer son bâton autour d'elle dans un mouvement de plus en plus lent jusqu'à le tenir dans la même position que peu de temps auparavant : à la verticale, une extrémité posée au sol. Elle vous regarde tour à tour alors que la marque sur son front -un cercle plein d'un doré éclatant- brille plus que jamais.

"Bien, je ne m'étais pas trompée", annonce-t-elle aussi tranquillement que si vous preniez le thé. "Il en faudra néanmoins plus, beaucoup plus, si vous souhaitez sortir d'ici un jour.
Oubliez ce que vous êtes. Il est temps de vous souvenir de ce que vous étiez... et de le devenir à nouveau."

Un petit cri de douleur s'échappe de mes lèvres lorsque l'os se brise. Pour autant, la douleur et son expression ne réduisent pas ma détermination. Ces années d'entraînement puis de guerre m'auront suffisamment endurcie pour ne pas céder face à la douleur, que je relègue au statut d'information secondaire.

Avec une vivacité notable, je récupère ma dague de ma main valide puis j'effectue un salto arrière pour descendre de la table tout en m'éloignant le plus possible de mon adversaire, laissant le meuble entre elle et moi. La manoeuvre est réussie mais provoque une grimace de douleur sur mon visage qui n'a plus rien d'amical.

Mais voilà qu'à peine rétablie, Mékios me percute bien involontairement, et qu'ensemble nous allons blesser notre guérisseuse. Avec une difficulté relative au choc que nous venons de subir, je me relève la colère et la douleur se partageant mon expression. Je me tourne alors vers Mékios que j'imagine également debout, tant il me paraît impossible qu'il soit hors d'état de nuire, puis lui adresse un regard qui dit tant de choses sans un seul mot.

Je me décale légèrement sur la droite. Dans un autre monde, les propos de la violente blondinette m'auraient semblé marqués du sceau de la folie, mais ici, ils me semblent simplement comme des clés permettant de percer le mystère pour le moment bien trop épais. J'y associe ce que j'ai vu sur son front, ce qu'elle dégage. J'essaye de faire le lien entre ça, nous et ses propos. Mais je ne peux me permettre une réflexion poussée, car nous sommes sur un petit terrain de bataille que nous ne pouvons nous permettre de perdre.

Pas de harangue pour ma part car la victoire m'est préférable à la postérité. En revanche, tandis que je me rue sur Meira par son côté droit, je crie d'une voix forte et ferme, habituée à me faire écouter "ENSEMBLES ! PAR VAGUE DE TROIS !"

La perte d'espoir étant le premier pas vers la défaite, je m'appuie sur ma détermination pour continuer le combat quoi qu'il en soit. Dès que j'arrive à portée de Meira -si toutefois j'y arrive-, je la harcèle de coups de dague. Coups d'estoc, de taille, en diagonale du haut vers le bas puis de bas vers le haut, en favorisant la rapidité et les changements de trajectoires que je fais les plus imprévisibles possible. Et pour nous donner d'infimes chances supplémentaires, au moins de la blesser, je m'appuie sur le rythme de Mékios, et je l'espère une troisième personne. Car mon but n'est pas tant de la blesser moi-même -ce qui ne me déplairait cependant pas-, mais de l'occuper suffisamment, de contribuer à la submerger, pour que Mékios puisse porter un coup qui fera nettement plus de dégâts.

Je déploie tout mon art, toutes mes techniques, tous les fruits de ces heures innombrables passées, qu'il pleuve, neige, vente, ou que le soleil nous écrase d'une chaleur de plomb, à m'entraîner sans relâche. Instinctivement, je sais pourquoi. Tout converge vers ce moment. Ce combat. Celui où je vais devoir dépasser mes limites pauvrement humaines pour briser ce maudit plafond de verre qui a hanté mon moindre souffle depuis ma naissance. Cadenassé mes rêves, rabaissé mes ambitions, tu mes désirs les plus profonds. Et m'y revoilà de nouveau, dans cette situation, où le meilleur des combattants humains n'est pas même capable de faire perler une seule goutte de sueur sur le front d'un de ces maudits Exaltés. Car je ne sais pas exactement ce qu'elle est, mais je suis tout de même certain qu'elle n'est pas humaine.

Quand je me redresse à nouveau, chassant toutes les alertes de mon corps de plus en plus meurtri, c'est dans une sorte de râle de rage et de détermination. Mes doigts sont littéralement soudés sur ma lame et ma targe. D'un geste brusque, je dégage complètement la cape de voyage qui ne fait plus que gêner mes mouvements, dévoilant en-dessous complètement mon armure légère dans le plus pur style lookshyan.

A ce moment, mon regard qui fait le tour de la pièce rapidement pour jauger la situation croise celui de Sahia. Nul doute que nous nous sommes compris. Ma détermination comme la sienne est absolue. A son signal, je m'élance, de nouveau, me coordonnant avec la belle brune et qui voudra se joindre à notre assaut. Mais j'ai cette idée en tête, qui ne me lâche pas. C'est MON combat. Celui que j'attendais, celui qui me permettra peut-être, enfin, de reprendre la main sur mon destin et de briser la bride que j'ai au cou depuis toujours, par le simple fait que le don de mes parents ne m'a pas été transmis. Pour vivre je dois dépasser mes limites.

Le bruit de l'os brisé de Sahia m'arrache un cri rageur et mon corps se tend sous l'atmosphère électrique de la confrontation qui vibre dans l'air. Je comprends qu'il ne s'agit pas d'une joute de laquelle nous nous sortirons indemne, mais qu'il ne s'agit pas non plus d'une exécution, ou nous serions déjà morts.

J'ai à peine le temps de consolider ma résolution que Meira fond sur moi, m'arrachant un cri de surprise très vite suivit d'un cri de douleur qui n'a que le temps de naitre, coupé par le choc qui vide mes poumons de tout air. Comme beaucoup, je termine la brève rencontre avec l'arme de notre hôte à même le sol, après m'être écrasée sur mon frère. Je me relève tant bien que mal, hoquetant pour retrouver mon souffle et gémissant sous une douleur que je n'ai pas l'habitude de ressentir. Mékios semble être le seul à parvenir à lui tenir tête, ne serait-ce que pour quelques coups, jusqu'à ce qu'il finisse par subir le même vol plané pour s'écraser sur les deux autres femmes de la salle.

Ma détermination brille dans mes yeux alors que je m'appuie contre le râtelier pour me soutenir, refusant de me laisser abattre malgré la douleur qui pulse à travers mon corps. Notre avenir à tous se joue dans cette pièce et mon objectif est clair : la survie, non seulement la mienne, mais celle de tous ceux qui partagent ce moment périlleux avec moi. Je profite de l'arrêt temporaire des hostilités pour regarder le râtelier et saisir un nunchaku à sept branches avec une détermination renouvelée. Je refuse de plier sous la pression et l'adversité.

Les sourcils froncés, j'entends les paroles, celles d'une anathème qui se révèle à nous, sans haine, mais avec un volonté de résister férocement ancrée. Si les mots qu'elle utilise font naitre des questions, l'heure est à la survie plus qu'à la contemplation. J'ajuste mon souffle pour retrouver un équilibre intérieur et Sahia me devance dans ses mots ; nous devons unir nos forces. Aux côtés de Sahia et Mékios, je charge la Nerigus, déterminée à forcer la confrontation et à créer des opportunités pour mes compagnons. Chacun de mes mouvements est précis, chaque attaque calculée dans le but de désarçonner mon adversaire. Je ne retiens pas mes coups, car le sort de tous dépend de ma résistance et de ma détermination à faire face à cette menace.

Je ne peux pas retenir un cri de douleur lorsque Mékios et Sahia m'écrasent contre le mur, et je glisse au sol, ma dague m'échappant des mains. Je me relève en m'appuyant à une main par terre et au mur (l'autre tient mes côtes) pendant que les deux repartent contre la blonde, mais il me faut du temps avant de réussir à cause de mon vertige. Toutefois, il est hors de question de me laisser tomber par terre et de mourir comme ça !

Je lève la main droite vers l'arrière de ma tête en grimaçant. Je ramène ma main devant moi et regarde le sang qui l'a tachée. Une seconde passe durant laquelle j'observe ce qui m'entoure, avant que la situation ne se rappelle à moi. En me traînant plus qu'autre chose, je me rapproche du râtelier qui portait ma première arme, et attrape de nouveau une dague, en la tenant encore pire qu'avant. Je titube un peu, mais m'appuie contre le mur pour rester debout. Mon premier réflexe est de regarder autour de moi, cherchant une personne blessée. Mais je renonce rapidement et me rapproche dans le dos des trois qui combattent actuellement, me souvenant et comprenant (enfin) les paroles précédentes de Sahia.

La bataille contre la jeune femme fait rage, je n'arrive à peine à suivre les mouvements de la jeune femme dont la précision est redoutable. Mes couteaux ont loupé leur cible, rien de bien étonnant compte tenu de mon expérience dans le combat, et je me rassure en voyant l'égale inefficacité des autres membres du groupe.

L'analyse de cette bataille semble me faire oublier l'un des principes premiers du combat, rester attentif. Et pour la seconde fois ce jour-ci, je sers de cible humaine pour l'un de mes comparses. Plus légère, le poids de ma sœur ne fait que de me déséquilibrer, mais le râtelier me ramène rapidement à la dure réalité de ce combat, nous ne sommes pas de taille. Je reste plusieurs secondes allongé au milieu des armes éparpillées à essayer de comprendre ce qui venait de se passer, depuis combien de temps est-ce que je suis resté allongé là et si j'allais réellement mourir dans cette pièce vide de connaissances.

Un regard vers ma sœur me confirme qu'elle est toujours en vie, et semble avoir l'intention de le rester. Je me redresse difficilement, prenant appuie sur un bâton, non une lance ou peut-être... Quelle importance après tout. Je tapote mes vêtements pour les dépoussiérer, comme si cela pouvait changer quoi que ce soit, et fait un nouveau tour de la pièce du regard. Mékios paraît être le seul à tenir tête à la jeune femme... Non, elle se joue de lui avec ses pirouettes, esquives et surtout sa disparition. Le cri de ralliement de Sahia me ramène à la réalité. Toujours en gardant un appui sur la lance-bâton d'une main, j'attrape toutes les armes qui restent accessibles sans me baisser au risque de perdre mon équilibre, pour les lancer à notre hôte-assassin.

Il est hors de question que je tombe à nouveau à terre sans avoir été la cible principale de notre hôte, ou peut-être est-ce parce-que je ne fais pas suffisamment confiance à ma capacité de me relever cette fois-ci.

Même si vous avez tous été touchés différemment, le choc est resté brutal et vous a privé un instant de vos moyens. Un instant relativement court pour Mekios et Sahia, dont l'entrainement et l'expérience leur ont fourni les moyens de réagir malgré la douleur et le handicap des blessures - bien que la vitesse et l'agilité de leurs mouvements en soient forcément impactés. Un temps plus élevé pour Sheherazade, Qasim ou Rinwell, qui n'ont encore jamais connu un tel débordement de violence à leur encontre.
Une chose vous unis malgré vos différences : aucun de vous n'est prêt à abandonner le combat, pas même ceux qui ne savent pas vraiment comment y participer activement.

Meira reste immobile et presque tranquille jusqu'à ce que Mekios, puis Sahia, puis Sheherazade la rejoignent au centre de la pièce tandis que Rinwell attend son heure et Qasim une opportunité. Et le bâton, dur, implacable, reprend sa danse infernale. Repoussant un à un les projectiles lancés par le marchand, frappant ici un bras pour écarter une épée, là une épaule pour détourner une dague. Frappant, encore et encore, meurtrissant toujours un peu plus vos muscles, vos os, l'ensemble de vos corps... et si l'expérience de Mekios et Sahia leur permet d'esquiver de rares coups, Meira compense en les ciblant deux fois plus que la danseuse.

Les coups sont d'abord défensifs, comme si Meira cherchait à mesurer votre détermination. Puis à nouveau offensifs, d'une brutalité efficace mais d'une amplitude modérée, contrôlée, à mesure que la lueur issue de sa marque s'étend doucement à l'ensemble de son corps, l'enveloppant d'une aura d'un or majestueux.

Sous l'effet d'un coup plus appuyé, Sheherazade recule brusquement et pose un genou à terre, laissant assez de place à Rinwell pour la remplacer. La jeune guérisseuse manque toutefois cruellement de l'expérience nécessaire et ne tarde pas à reculer à son tour, les dents serrées sous le choc des coups. Un vide se fait au centre du cercle tandis que Meira disparait à nouveau, arrachant un cri de rage à Mekios qui retient de justesse sa lame de blesser Sheherazade qui se précipitait à nouveau dans la bataille.

Aussi concentré que vous soyez tous, aucun de vous ne parvient à suivre la jeune femme des yeux. C'est Qasim qui la retrouve en premier, debout à côté de lui. Il parvient certes à maintenir son arme en main mais pas à esquiver le coup qui l'envoie voler sur Rinwell, les faisant aussitôt percuter les trois autres.

L'Anathème - car le doute n'est plus permis - ne s'attarde pas et revient instantanément derrière Mekios qu'elle frappe violemment dans le dos, assez pour qu'une douleur intense lui coupe momentanément le souffle. Puis Sahia, qu'elle atteint à la jambe, fragilisant grandement ses appuis. Puis Sheherazade, Rinwell, Qasim, Mekios à nouveau... un nouveau cercle qui commence, puis un autre...
Il ne faut guère de temps à Sahia pour comprendre et crier une nouvelle consigne : "dos à dos !", une consigne militaire mais assez simple pour que chacun d'entre vous la comprenne instantanément, aidé des coups incessants de Meira. Consigne que vous appliquez de votre mieux, aussi rapidement que possible vu l'état dans lequel vous êtes désormais.

Et la danse reprend, depuis l'extérieur cette fois, une danse qui ne vous laisse aucun répit et qui de plus en plus vous apparait létale. Les coups pleuvent, encore et encore, d'une violence inouïe et à laquelle aucun d'entre vous ne pense désormais pouvoir survivre. La douleur... la douleur est omniprésente et ronge chacune de vos pensées, les empêchant de se regrouper. N'en laissant finalement plus qu'une seule : vivre, je veux vivre. Mourir ici, aussi inélectuable que cela paraisse, est de plus en plus hors de propos. Hors de question. Inacceptable. Aussi différent les uns des autres que vous étiez à votre entrée dans cette pièce maudite, vous voilà désormais unis par la même idée, le même désir, la même envie. Vivre, je veux vivre, me battre, vivre, avancer, vivre, encore...

L'espace d'un instant, tout se précipite devant vos yeux - ou est-ce dans votre tête ? Vos rêves, vos doutes, vos regrets, vos ambitions. Vos réussites et vos échecs. Ce que vous avez été et ce que vous pourriez être. Et, au milieu de tout cela, Meira debout face à vous, brandissant son bâton, prête à frapper une fois de plus. Une fois de trop ? Le temps semble ralentir, s'interrompre presque, et avec lui souvenirs et sensations, passé et présent. Seul le futur reste, flou, incertain. Mourir ? Vivre ? Abandonner ? Lutter ?

D'une même voix, avant même d'avoir pu réellement penser ce choix et encore moins le réfléchir, vous hurlez cette réponse qui vous unis tous. Et tout éclate. La douleur s'efface, la peur s'efface, le doute s'efface. Tout disparaît, noyé dans un éclat lumineux et une vague de chaleur qui vient vous envelopper comme un cocon. Meira, le danger, la raison de votre présence ici, votre vie jusqu'à ce jour... plus rien n'existe, rien que cette chaleur, cette lueur si vive qu'elle efface tout le reste.

Après un temps que vous êtes bien incapables de mesurer, peut être bien une éternité, vous reprenez enfin contact avec la réalité. Le  sol, dur et froid, dans votre dos. Le plafond de pierres grises. La lumière, vive, dorée, dont vous peinez à définir la provenance. Les souvenirs, lointains comme immédiats. La présence des autres. La douleur enfin qui remonte, par vague, encore, et encore... mais étonnamment supportable, bien en deçà de ce que vous avez ressenti avant, bien en deçà de ce que vous devriez ressentir.
Et la voix de Meira, reconnaissable malgré l'inquiétude qui perce dans son ton :

"Doucement... tout va bien..."

Bien que je ne comprenne pas encore tout ce qui m'arrive, l'impression que ces sensations sont liées à l'objet de notre invitation et à la danse violente qui a suivi s'impose à moi. Les clés du mystère auraient-elles enfin ouvert sa révélation ? Serions-nous également des anathèmes ? Je prends rapidement conscience que je suis sur le dos, par lequel je ressens le froid du sol. Une position de faiblesse face à de nouveaux potentiels assauts, même si l'expérience nous a montré que la station debout n'y changeait pas grand chose.

Néanmoins, toujours aussi déterminée -voire plus ?- à ne pas capituler sans combattre jusqu'à mon dernier souffle, j'effectue un mouvement brusque et agile du bassin pour retomber sur mes pieds, décidant pour le moment d'ignorer la douleur qui commence à revenir irriguer mon corps, et ma colère par la même occasion.

Une fois debout je porte mon regard sur Meira, une lueur dans mon regard ne faisant aucun doute sur le fait que je suis prête à reprendre notre petite danse, quoi qu'il m'en coûte. Constatant qu'elle n'engage pas le combat de nouveau, je profite de la pause pour observer mon propre corps, que je devrais ressentir plus douloureusement, et celui de mes compagnons d'infortune, que j'aide à se relever pour celles ou ceux qui le désirent.

Mes yeux sombres se reportent alors à nouveau sur notre hôte, en attente d'explications.

L'étreinte de la pierre dans mon dos, froide et douloureuse. Mon front qui pulse d'un mal vibrant, mes muscles endoloris, mon corps meurtri. Et pourtant... une étrange sensation est bien présente, douce, chaude, qui sans l'éteindre repousse les signaux que mon corps devrait m'envoyer vu la correction que je viens de recevoir.

Je rouvre les yeux et reconnecte avec la réalité. La douleur est tout de même présente mais je fais l'effort de me redresser. Ceux que je peux qualifier de compagnons après ce que nous venons de vivre sont comme moi en train de reprendre vie tout autour. Et cette fichue blondinette est toujours là. Une Anathème au pouvoir sans rival.

Difficilement, je me lève complètement, jette un regard vers Sahia que j'aperçois déjà debout, puis la fille. Je suis clairement sur mes gardes, prêt à reprendre l'inégal combat si je le dois, mais elle ne semble plus agressive et je m'interroge. Que vient-il de se produire ? D'où vient cette lumière ? Comment puis-je être debout en cet instant ?

Toujours le dos sur le sol, je peine à reprendre mes esprits. Alors que les plus habitués à guerroyer d'entre nous se relèvent déjà, je tends une main devant moi, en direction du plafond, comme si j'essayais d'attraper quelque chose qui m'échappe. Mes yeux sont ouverts et quelques mots sortent de ma gorge, d'abord confus, puis plus sereins. "Qui... ?! ... Je... Oui, je le ferai. Ikashin ?"

Je prends une grande inspiration qui ramène ma conscience dans le présent, aidée en cela par la douleur que je ressens. Vive, et pourtant, moins qu'elle ne l'était quand je me suis écroulée. Je me saisis de la main tendue de Sahia avec une grimace, témoignant de mon état, pourtant mon attitude n'est plus hostile envers Meira. Je l'observe avec un nouveau regard, tout comme je regarde chacun d'entre vous, attendant que tous se relèvent. Lorsque c'est fait, je prends la parole avec emphase et beaucoup d'émotion, mais c'est l'espoir et l'interrogation qui en ressortent le plus.

"L'avez-vous ressenti ? La chaleur, la lumière ? Elle nous unit..."

Je marque une très courte pause, étouffant un gémissement après un mouvement pour me déplacer et reprend comme si de rien était. Dans le ton que je prends, la façon dont je module ma voix, et les quelques gestes que je fais, il est évident que je cite quelqu'un.

"Le monde est blessé, menacé, le monde souffre. Amenez la lumière au sein des ténèbres et sachez que vous agissez avec ma bénédiction."

Galvanisée, mais toujours pleine d'une multitude de questions, je me retourne vers Meira avec assertivité :

"Meira Nerigus ? Je crois que vous avez des explications à nous donner !"

J'écoute, assez confuse, les mots de Meira, puis assez troublée les mots de Sheherazade ; encore le dos contre le sol froid alors que les plus habitués à la douleur se relèvent. J'accepte l'aide de Sahia en rouspétant à voix très basse, avant de me tourner vers la danseuse lorsque je l'entends prendre une nouvelle fois la parole, en fronçant les sourcils.
Je reporte mon attention vers la blonde alors que Sheherazade dit que notre hôte a des explications, l'air un peu en colère ; mais je ne parviens pas à cacher ma curiosité débordante pour lesdites explications.

Bien que je sois parfaitement conscient, je ne me redresse pas tout de suite, cherchant à comprendre cette sensation qui venait tout juste de m'envahir avant que Meira n'interrompt son dernier coup de bâton.

Je finis par me relever avec beaucoup de mal, au moins autant que mes vêtements, maintenant devenu treillis. J'abandonne rapidement mon entreprise de nettoyer ces vêtements à la main, me confortant dans l'idée qu'il valait mieux en racheter des neufs. J'appose ensuite la main droite au niveau de ma tête, la ou le râtelier devrait m'avoir laissé une blessure ouverte, n'y voyant que du sang qui commence à coaguler.

Je pose le regard ensuite sur les autres invités qui semblent être aussi perdus que moi. Je ne suis pas certain de comprendre les premières paroles de Sheherazade, mais pour une raison que j'ignore, elles ont du sens. Je ressens également ce lien.

Un frisson me parcourt le dos, me ramenant à la réalité. Ma sœur me vole ma première réplique, je me dois d'enchérir : "Vous avez une façon bien originale de traiter des invités pour faire affaire, Meira Nerigus" Je m'adresse à elle sur un ton poli, mais mon visage reflète une sévérité inflexible. "Bien que cette expérience soit quelque peu... intéressante, des explications sont de rigueur."

L'origine de cette lumière qui étonne tant Mekios vous semble si naturelle qu'il vous faut un  moment pour l'identifier réellement : une marque, ou plus exactement cinq marques différentes - une pour chacun d'entre vous. Des marques dorées d'une luminosité brûlant de milles feux, située au milieu de vos fronts. Maintenant que vous avez retrouvé vos esprits, il vous parait évident que ces marques ne sont, ne peuvent être naturelles... et pourtant votre certitude persiste : elles le sont, sans aucun doute. Elles font partie de vous et vous caractérisent autant que vos traits.

Depuis ses derniers mots Meira est restée aussi immobile que silencieuse, debout un peu à l'écart. Les plus rapides d'entre vous auront pu capter un soupçon d'inquiétude sur son visage, qui disparait rapidement quand elle vous voit vous lever un à un.

Elle vous observe longuement, s'attardant sur Sheherazade à la suite de sa citation et confirme d'un hochement de tête la conclusion de la danseuse, avant que les mots de Qasim ne lui fasse hausser un sourcil étonné et ne lui arrache un sourire :

"Ce serait en effet surprenant si je souhaitais faire affaire, mais au risque de vous décevoir, ce n'était que le moyen le plus simple de vous mener à moi. Bien sûr, cette astuce ne pouvait fonctionner sur vos compagnons mais... ma foi, ce n'était heureusement pas la seule corde à mon arc !"

Son sourire disparait alors que son ton devient plus grave :

"Pour que les choses soient claires : oui, j'ai usé d'artifices -et de connexions- pour vous attirer ici, l'un après l'autre. Je ne m'en excuserai pas car cela était nécessaire : aurais-je tenté de vous dire la vérité, aucun d'entre vous ne m'aurait cru. Et il était important que vous soyiez en sécurité lors de votre second souffle. Ces marques qui ornent vos fronts, ces marques de caste comme nous les appelons, resteront visibles pendant plusieurs semaines.

Elles font de vous des cibles de choix pour la Chasse sauvage. Elles indiquent précisément, à quiconque en connait la signification, ce que vous êtes : de jeunes Exaltés, trop jeunes encore pour camoufler leurs marques, souvent bien trop jeunes pour maîtriser leurs capacités.
Nombre des nôtres sont tombés ainsi... c'est pour cela que je les cherche, comme je vous ai cherché. C'est la mission que Soleil Invaincu m'a confié, afin que ceux qu'il bénit ne meurent pas en vain."

Meira s'arrête sur ces mots et observe attentivement chacun d'entre vous, jaugeant vos réactions avec bienveillance.

Mon attention se porte sur Sheherazade que je regarde du coin de l'oeil, intriguée, tandis qu'elle semble en contact avec Ailleurs, peut-être en raison d'un choc trop fort à la tête. La suite de ses propos semble cependant suffisamment structurée pour que j'écarte l'hypothèse du choc et me concentre sur ses mots, d'autant qu'à l'évidence nous avons franchis la barrière de la logique humaine.

Je m'assure visuellement de l'état de chacun.e, j'observe les symboles sur les fronts, tente d'y retrouver celui que nous voyons ou avons probablement vu sur le front de Meira, je note mentalement ce que je vois et entends jusqu'à la remarque de Qasim concernant ses affaires, qui me fait hausser un sourcil. L'expression affichée par ce dernier m'intrigue tout autant, comme si nous n'avions pas vécu la même expérience humiliante de notre impuissance totale face à cette femme.

Une femme dont j'écoute ensuite les mots sans les réclamer, consciente du fait qu'elle ne nous doit que ce qu'elle désire nous donner, le pouvoir étant manifestement de son côté. Je bois ses paroles en silence, immobile, plissant les yeux à quelques moments, jetant un regard en coin vers Mékios que je devine aux anges, si l'on excepte notre très récente correction. A l'évidence Meira ne nous veut aucun mal. Ses paroles tendraient plutôt à laisser croire l'inverse et les faits semblent lui donner crédit. Aussi, considérant visiblement cette partie de la réflexion achevée, au moins pour le moment, je me décide à passer à la suite en m'adressant à Meira d'un ton de voix empreint d'une humilité pragmatique :

"J'imagine que nous allons devoir apprendre, si nous voulons tirer partie de ce Don. Allez-vous nous enseigner ce qu'il y a à savoir, ou allons-nous devoir tout découvrir seuls, une fois ces semaines passées ? D'ailleurs, pourquoi nous avoir réunis tous les cinq, sachant qu'à l'évidence nous ne venons pas des mêmes horizons ?"

Je semble en avoir terminé, mais me risque à une nouvelle question, plissant les yeux.

"Et pardonnez cette question mais... vous avez parlé d'Exaltés... j'imagine que nous parlons d'une Exaltation... supérieure à celle qui peuple l'île centrale, n'est-ce pas ?"

J'observe chacune des marques apparues de toutes les personnes présentes dans cette pièce (sauf celle de Meira, qui n'est plus là, et la mienne que je ne peux pas voir). J'écoute attentivement les paroles de la blonde, totalement concentrée sur ce qu'elle dit. J'incline légèrement la tête vers la droite lorsqu'elle cite nos marques, avant de la remettre droite. Je reporte mon attention sur Sahia quand elle prend la parole, acquiesçant devant ces questions que j'allais poser. J'attends quelques secondes avant de poursuivre :

"Excusez-moi si vous n'aimez pas vous faire interroger de la sorte, mais ... qu'est-ce que la Chasse Sauvage ? Qui est Soleil Invaincu ? Que sont ces castes ?"

J'hésite un bref instant avant de rajouter :

"Quelles sont ces capacités ? Pourquoi sommes-nous des "cibles de choix" ? Je pourrais continuer longtemps comme ça, mais je pense que cela fait assez de questions pour le moment ..."

J'attends les réponses de Meira sans pouvoir cacher ma curiosité.

Sans se départir de son attitude bienveillante, Meira hoche un assentiment de la tête à la première phrase de Sahia. Elle écoute les questions qui suivent avec une attention non feinte, son sourire s'agrandissant légèrement quand elles ne semblent plus cesser de s'accumuler.

Elle opine à nouveau du chef, le regard fixé dans celui de Rinwell, avant de répondre : "ne vous excusez pas de poser des questions, pas ici, pas devant moi."

Son regard oscille ensuite un instant entre la jeune guérisseuse et l'archère, puis balaie rapidement les autres membres du groupe avant de reprendre d'abord pour Sahia :

"Pour répondre à votre première question... il y a des choses que je peux vous apprendre, et d'autres qu'il vous faudra retrouver seuls - vos capacités notamment, car beaucoup sont personnelles. Je ne regrette pas de vous avoir forcé la main, mais sachez que ce sera la première et dernière fois. Le reste de votre vie, à compter de maintenant, ne dépend que de vous.

Ma demeure est votre aussi longtemps que vous le voudrez, et j'espère sincèrement que vous accepterez de rester au moins assez longtemps pour que vos marques disparaissent et que je puisse vous en apprendre autant que possible."

La jeune femme semble hésiter court instant avant de se décider à nouveau :

"Les réponses à vos autres questions prennent leurs sources dans l'histoire de notre monde -Création-, dans cette époque appelée le Premier Âge... j'ai peur toutefois que ce récit soit un peu long et ne doive attendre.

Mais pour ne pas vous laisser totalement dans l'ignorance : non, vous n'êtes pas devenus des Sang-de-dragon. Le don que vous avez reçu est sans commune mesure avec celui des Exaltés du Royaume. Ce qui à leurs yeux, et ceux de quiconque suit la Foi immulée, fait de vous des Anathèmes. Leurs guerriers les plus puissants forment la Chasse Sauvage, qui n'a d'autre vocation que de vous achever, de nous achever tous, jusqu'au dernier."

Meira cherche ses mots quelques secondes, en profitant pour jauger à nouveau l'effet que les siens peuvent avoir sur vous, avant de s'adresser directement à Rinwell :

"Ces marques", dit-elle en indiquant son propre front sur laquelle un disque plein semblable à celui de Sheherazade vient de réapparaitre, "sont caractéristiques des Nôtres. Cinq marques différentes, pour cinq castes différentes, chacune avec ses propres forces et faiblesses. Complémentaires les unes des autres. Aube, Zénith, Crépuscule, Nuit, Eclipse", précise-t-elle en indiquant tour à tour vos propres marques.

"Cela nous mène, Sahia, à votre dernière question : les Exaltés se regroupent en Cercle, unis par un serment, chaque membre apportant ses propres forces dans l'accomplissant d'un objectif commun. Et je crois..."

Meira s'interrompt et fronce les sourcils un instant avant de se tourner franchement vers la danseuse : "vous l'avez vu, n'est-ce-pas ? Ces mots que vous avez prononcé tout à l'heure étaient les siens...
Pourriez-vous les répéter ?"

Les explications arrivent au gré des réponses de Meira et l'instinctive compréhension de la situation qui commençait à s'insinuer après ce brutal moment d'éveil devient plus concrète, plus claire. Et à mesure qu'elle se fait, mon visage se déforme sous les émotions profondes qui remontent à la surface. La sidération, l'exultation, l'émotion pure et simple, et bien d'autres encore, si fortes que je porte ma main sur mon coeur et que mon corps est légèrement tremblant sous l'afflux.

Je ferme les yeux pour reprendre le contrôle de moi-même, même s'il n'y a aucun doute que je continue à écouter les échanges sans perdre un seul mot. Ma main se déplace du coeur vers le front, où se situe supposément ma marque.

Je rouvre enfin les yeux pour les porter sur Shéhérazade, curieux de ce qu'elle va dire. Je suis secoué, c'est clair, mais rayonnant en même temps, et pas seulement sous l'effet de mon aura qui continue de briller.

L'attitude de la Meira devant nous en cet instant me rappelle cette touche de chagrin qu'elle a exprimé lorsqu'elle a dû aller contre ses propres convictions afin de pouvoir mener à bien sa mission.

Je bois ses paroles avec un intérêt qui n'a rien de feint, exprimant mes émotions avec simplicité et assurance. La perplexité, la surprise, la digestion des informations. Lorsqu'elle termine, je m'approche simplement vers elle, et prends doucement ses mains dans les miennes en lui adressant un sourire apaisé et réconfortant. Mon attitude parle autant que des mots, et il est aisé d'y lire un message de compassion, de compréhension, mais aussi d'acceptation.

Je me retourne vers vous et cette fois ce n'est plus un doute interrogatif qui perce dans mes paroles, mais une bienveillance résolue. La main posée sur mon torse, je prends une inspiration et m'adresse à vous avec la volonté de partager avec vous ces sentiments, je vous invite à ressentir tout autant qu'à écouter. Clairement, les premières phrases m'étaient personnellement adressées, et pourtant je ne ressent aucun gène à me dévoiler à vous, dans toute ma vulnérabilité et toute ma force.

"Ecoute moi... regarde moi..."

Je tends une main devant moi, dans votre direction, comme si j'essayais de vous toucher, mais que vous étiez trop loin, hors de portée. Et pourtant, que je vous vois, mieux que vous ne vous verrez jamais.

"Toi qui as dû quitter le lieu qui t'a vu naître, je serai désormais ton foyer. Toi qui n'as plus de famille que ton frère, je t'en donne une nouvelle."

Je prononce ces mots avec une emphase dans laquelle résonnent l'espoir et la joie. Puis mon attitude se durcit, exprimant une forme de colère qui est chassée par la détermination tandis que je joue le rôle qui m'a été donné.

"Dans ma colère, j'ai détourné le regard du monde des hommes, mais cela est fini. Sache que tu fais partie des prêtres que j'ai choisis. Va, et transmets mon message aux autres. Le monde est blessé, menacé, le monde souffre. Amenez la lumière au sein des ténèbres et sachez que vous agissez avec ma bénédiction."

Je vous observe comme une mère observe ses enfants. Fière et pleine d'espoir qu'ils sauront trouver leur voie dans un monde qui ne leur sera pas favorable. Je reste quelques instants comme ça, et une joie pure s'installe sur mon visage lorsque je vous observe, vous invitant d'un geste de la main à vous joindre à moi. Non pas physiquement, mais dans l'acceptation de ce qui nous lie au-delà de tout lien que nous aurions pu connaitre de notre vie.

Je me retourne ensuite vers Meira, interrogative.

"Connaissez-vous le mot Ikashin ?"

Les yeux toujours rivés sur Sheherazade, Meira attend assez patiemment sa réponse pour ne pas réagir à l'approche de la danseuse. Elle la laisse même aller au bout de son geste, comprenant le besoin vicérale de la jeune femme.

A la question qui lui est posée, Meira fronce presque imperceptiblement les sourcils et ouvre la bouche pour répondre. Aucun d'entre vous n'a pourtant l'occasion d'entendre ce qu'elle a à dire car vos sens vous font brusquement défaut.

La pièce s'estompe dans une lumière vive, rapidement remplacée par le soleil au zénith éclairant une vaste plaine. Non loin, face à vous, se dressent les premiers vestiges d'une cité en ruine, et en son sein une troupe armée, prête à en découdre, qui n'attend plus que vous.
La tension est forte. Le beau peuple n'est pas un ennemi facile et chacun de vous a eu l'occasion de s'en rendre compte par lui-même. Le combat sera rude, peut être même fatal.

Mais alors que vous jetez un dernier regard sur vos compagnons, une certitude s'impose à vous : tout ira  bien. Vous savez, par expérience, que vos compagnons assureront vos arrières autant que vous assurerez les leurs. Car l'adage "l'union fait la force" prend plus que jamais son sens lorsque vous êtes réunis...

Bientôt le combat commence, dans une orgie de violence et de lumière. Les coups pleuvent, autant donnés que reçus. Le sang gicle, les corps s'affaissent... Quand le calme revient, après un temps indéterminé, votre premier réflexe est de vous assurer que les autres vont bien. Vos frères, vos sœurs, vos compagnons. Votre cercle. Votre tout.
Et aors que vous vous regroupez doucement, une certitude vous unit tous : cette journée n'est jamais qu'une épreuve sur votre chemin, celui que vous avez choisi. Une épreuve que vous avez surmontée, ensemble, vous menant un peu plus près de votre objectif : Ikashin. Ce mot résonne et s'impose en vous, sans que vous ne parveniez à le définir : est-ce un objet, un lieu, une personne... ?

La scène s'estompe à nouveau, et la grande salle réapparaît peu à peu autour de vous. A t'elle duré une minute, une heure ? Difficile à dire... Une seule évidence persiste : ils ont changé, leur apparence a changé, mais ils sont là, comme toujours. Vos frères, vos sœurs, vos compagnons. Votre cercle. Votre tout.

J'écoute les réponses de Meira avec un intérêt non dissimulé. Je la regarde hésiter, ai un air un peu déçu qui disparaît vite lorsqu'elle dit que le récit de l'histoire de Création doit attendre, montrant une nouvelle fois une curiosité certaine pour tout ce qui m'entoure. Je prête l'oreille à tout ce que dit la jeune femme, avant de reporter mon attention vers Sheherazade lorsque Meira lui demande de répéter les mots que la danseuse avait dit quelques minutes avant. Je l'écoute, légèrement étonnée en apprenant tout ce que cette voix lui avait dit.
Après que la scène ait disparue, j'observe en silence toutes les personnes présentes dans la pièce réapparue (sauf Meira). J'hésite une bonne dizaine de secondes avant d'oser briser le silence et demander, autant à Sheherazade que Meira :

"S...savez-vous de qui venait ces mots ?"

J'attends quelques secondes (mais moins que précédemment) avant de préciser en me tournant vers la "Zénith" du sud :

"Ceux que vous avez entendus puis répétés ..."

J'accueille les réponses de Meira avec un vif intérêt, me gavant sans retenue des informations qui se déversent dans nos esprits encore fragilisés par la récente épreuve. Je n'acquiesce qu'une fois toutes les informations délivrées, mes yeux se déplaçant ensuite vers notre prochaine source de savoir : Sheherazade.

La façon surprenante qu'a cette dernière de nous conter ce qu'elle a entendu, pareille à une pièce de théâtre, me surprend de prime abord. Mais nous ne sommes pas à une surprise près ce jour, aussi je me laisse porter par le récit, d'autant qu'à l'évidence la fille du sud sait captiver un auditoire. Même si j'éprouve une certaine satisfaction à l'écouter et la regarder ainsi, je focalise néanmoins mon esprit sur l'essentiel : le contenu de ce qu'elle nous dévoile.

Je suis ensuite happée par la scène qui s'impose à nous. Je plisse les yeux tandis que je pense devoir m'épargner la lumière vive du soleil. A nouveau, me voilà revenu dans le giron de la guerre et du sang. A nouveau, je ressens la crainte pour mes compagnons, mes hommes et femmes, mais cette fois, d'une intensité nouvelle, exaltée, à craindre pour la vie de ceux qui m'accompagnent en égaux.

Lorsque tout se dissipe, par réflexe j'observe chacun et chacune des infortunés -ou des élus, selon le point de vue- qui ont vus leurs os se briser en ma compagnie aujourd'hui. Au départ, sans qu'aucun mot ne traverse mes lèvres, mon regard dit tout ce que j'ai le sentiment d'avoir ressenti leur égard, et je m'assure qu'ils ont vécu la même chose que moi, cherchant leurs émotions au travers de leurs yeux.

Je lâche alors, d'une voix qui comporte une sorte de conviction inébranlable : "Nous avons un objectif désormais."