Chapitre 1 : Un recommencement

La récupération est lente et je laisse les premiers dialogues se faire écoutant d'une oreille lointaine, je reste bouche-bée de ces révélations soudaines. J'observe ma sœur se perdre dans une transe telle une prophétesse, je suis interloqué ou peut-être est-ce la vision déclenchée par ses mots qui me font perdre les miens.

J'essaie d'organiser toutes ces informations. Mon expérience m'a appris qu'il était nécessaire de tout cataloguer, étiqueter et ordonnancer. Lorsque j'aurai réussi à remettre de l'ordre dans ce flot d'informations, tout rentrera dans l'ordre. Les premières questions se bousculent dans ma tête, et c'est le regard perdu dans le vide que je m'adresse à mon tour à Meira d'une voix calme et réfléchie :

"Vous avez parlé de cinq castes différentes. Nous sommes six dans cette pièce, cela signifie que plusieurs exaltés appartiennent à une même caste ? Quelles sont ces castes, et à laquelle appartenez-vous ?"

Sans trop perdre de temps, je réponds à Sahia pour lui faire part de ce que j'ai vu dans cette vision et m'assuré que nous avons tous eu la même : "Pour ma part, j'ai vu une guerre. De la violence, du sang. Je... Nous... sommes très vraisemblablement liés, mais je ne comprends pas mon rôle dans ce combat."

J'acquiesce à la dernière remarque de Qasim, ne tardant pas à lui répondre par ailleurs.

"J'ai vu la même chose. La bataille n'est cependant que l'une des étapes d'une guerre. Celle-ci se mène sur différents terrains, et certains mots dans les bons salons peuvent contribuer à la victoire bien plus que l'épée ou le canon. Parfois même, la bataille se gagne sans se livrer. Si j'en juge par votre apparat, je suis tentée de penser que vous maîtrisez l'Art social, ce qui est un talent précieux qui vous donnera un rôle incontestable."

Un bref silence puis je poursuis.

"Et puis, si j'en juge par la réputation des ...anathèmes..., et la Chasse dont ils sont les proies, dont nous serons les proies, je pense que le combat devrait vous être rapidement familier. Vous serez cependant accompagnés."

J'esquisse un léger sourire rapidement -bien que légèrement et brièvement- déformé par une pointe de douleur. Les blessures importantes se rappellent à moi et assènent un message clair : ceci n'est pas un rêve, mais bien une réalité qui s'impose à nos corps autant qu'à nos esprits.

Je suis resté silencieux un moment, secoué par ces révélations au plus profond de mon être. Comme un rêve lointain et réputé depuis toujours totalement inaccessible qui soudainement prend corps, et me voilà avec le potentiel tant espéré, entouré de ce qu'il faut bien appeler les miens. Tour à tour, j'observe toutes ces personnes qui à part Sahia m'étaient parfaitement étrangères en rentrant dans cette pièce. Mais tout a changé subitement, et rien ne sera plus jamais comme avant.

Je passe une main dans mes cheveux en levant la tête vers le ciel, ferme les yeux. Il est évident que j'adresse une prière silencieuse à celui qui a exaucé mon vœu le plus cher.

Enfin, je reconnecte à la conversation, et souris en entendant les derniers échanges.
- J'ai partagé la même vision, et quand le combat éclatera, comme il le fait toujours, vous pourrez compter sur moi. Quant à notre rôle, j'imagine que d'autres visions viendront le préciser. Ou alors ce sera à nous de le définir ensemble. Ou bien encore il s'imposera à nous. Nous verrons bien.

Je suis saisie par la vision qui répond à tant de questions avant qu'elles n'aient pu être réellement posées. Je vous observe tous avec un nouveau regard. Nous avons vécu tant de choses en si peu de temps. La joie, la douleur, la peur, la colère, unis dans une détermination hors du commun. J'ouvre la bouche, puis me ravise. Profitant de laisser les autres parler pour rassembler mes idées et ordonner ma pensée. Finalement, je souris tendrement à Mékios, ma pensée rejoignant la sienne.

"Oui ! Je ne sais pas encore quelle était ma place au sein de notre groupe, non, de notre cercle, mais je le trouverais."

J'observe alors mon frère et lui adresse un sourire radieux.

"Qui aurait cru que nous retrouverions notre famille après l'avoir si cruellement perdue..."

Il est évident que l'avenir ne sera pas une partie de plaisir, mais cet aspect des évènements en cours semble couler sur moi comme de l'eau sur une surface huilée.

Je me retourne enfin vers Rinwell, dont j'avais presque oublié la question tant j'ai été saisie par la vision. C'est vers Meira que je me retourne, l'incertitude et l'espoir mêlés dans ma question.

"Je.. Je ne sais pas. La voie paraissait peut-être masculine ? Serait-ce le Soleil Invaincu, qui comme vous m'aurait confié cette mission ?"

Meira est restée silencieuse, presque en retrait bien qu'elle n'ait pas bougé d'un centimètre. Elle accueille les questions de Qasim avec un sourire mais laisse Sahia y répondre et vos échanges se poursuivre, son regard passant sur chacun d'entre vous à mesure que vous vous exprimez.

Elle quitte son attitude effacée pour afficher à nouveau un sourire bienveillant lorsque Sheherazade s'adresse à elle. La blonde hoche ensuite la tête mais répond d'abord à Qasim : "Il n'existe que cinq castes solaires, chacun possédant une marque distincte."

Sans réellement quitter le marchand des yeux, elle se tourne vers chacun d'entre vous pour pointer la marque sur son front.
Vers Mekios d'abord : "le soleil est la marque de la caste de l'Aube", puis vers Qasim : "un disque dans un cercle, celui de la caste de l'Eclipse." Vers Sahia ensuite : "les membres de la caste de la Nuit présentent un anneau d'or vide", et vers Rinwell : "ceux de la caste du Crepuscule se distinguent par un cercle d'or dont seule la partie supérieure est emplie."

La blonde indique finalement celle de Sheherazade avant de faire réapparaitre la sienne, identique : "et enfin une large marque circulaire caractérise les Zéniths..."
Elle se tourne ensuite vers la danseuse et répond enfin : "plus que les autres solaires, les Zéniths ont toujours eu une vision très personnelle de Soleil Invaincu, chacun percevant sa voix d'une façon qui lui est propre. Votre vision a cependant une particularité certaine, qui n'existait pas dans la mienne : une partie du message ne s'adresse pas seulement à vous, mais aussi... aux 'autres'.

Je n'avais jusqu'ici jamais entendu le nom d'Ikashin. Mais vos réactions ne laissent aucun doute et répondent à votre question précédente, Sahia : vous êtes un cercle. La résurgence d'un cercle parfait pour être exacte, formé d'un membre de chacune des cinq castes, unis semble t'il autour de cet... Ikashin dont la signification m'échappe mais qui semble lié à votre passé."

Je réponds aux mots rassurants de Sahia d'un hochement de tête, avec un sourire en coin, satisfait de voir que mes qualités ne sont pas passées inaperçues. Ce sourire et ce sentiment de protection sont vite balayés à l'intervention de Mékios lorsqu'il précise que le combat éclatera quoi qu'il arrive.

J'écoute, envouté, les réponses données par Meira et toujours dans la même continuité de tout cataloguer, je demande des précisions :
" Nous sommes un cercle, nous avons un objectif en tant que cercle et nous savons que d'autres Exaltés peuvent appartenir aux mêmes castes dont nous sommes... marqués si j'ose dire. Savez-vous si chacune des cinq castes solaires possèdent leurs propres objectifs également ? Ou est-ce qu'il ne s'agit que d'une marque pour se distinguer entre Exaltés ? "

Je reste la bouche ouverte en pointant un doigt en l'air, cherchant à exprimer une révélation qui venait de m'apparaître :
"Lorsque vous êtes entrée dans la pièce, vous avez exprimé que le temps nous est compté, pouvez-vous nous en dire plus ? Est-ce que les membres de la Chasse Sauvage ont ressenti notre éveil ? Comme vous l'avez précisé, nous sommes trop jeunes pour cacher cette marque, nous ne pouvons donc pas simplement apposer un bandeau par-dessus ? Où existe-t-il une autre méthode en attendant que nous soyons capables de le faire ?"

L'expression poliment neutre, j'écoute avec attention les questions, réponses et interventions de notre petite compagnie. Loin de témoigner d'un désintérêt silencieux, cette attitude démontre l'inverse. Mon corps ne bouge pas cependant que mes yeux observent, scrutent, avec une acuité qui fait montre d'une volonté claire d'en apprendre sur mon nouvel environnement social.

Toujours dans une certaine forme de mutisme prudent, je me tourne vers Meira aux questions de Qasim, manifestement très intéressée par les réponses.

J'écoute tout du long les questions et réponses posées, sans prendre la parole. Je ne perds à aucun moment mon air curieux, attentive à chaque nouvelle information arrivant, observant plus en détail la marque de chacun. Je reporte toute mon attention vers les questions de Qasim, manifestement tout aussi intéressée que Sahia, puis vers Meira, attendant ses réponses avec une soif de connaissances non dissimulée.

Les échanges s'enchaînent et j'écoute autant que possible. A la différence au moins apparente par rapport à certains de mes nouveaux compagnons, je reste néanmoins encore sous le choc de la révélation, chaque prise de parole venant faire écho à ce rêve éveillé que je suis en train de vivre. Et manière de plus en plus évidente, un large sourire s'inscrit sur mes lèvres et je rayonne littéralement sous l'effet de la compréhension qui s'affirme.

Et Meira s'empresse tranquillement de fournir toutes les précisions demandées, sans jamais se départir de son sourire apaisant.

"Une caste n'a pas d'objectifs à proprement parler : elle reflète simplement les compétences, les capacités pour lesquelles vous avez une affinité particulière -que vous en soyez conscients ou non. Des capacités que vous allez découvrir, ou redécouvrir, et avec le temps pousser bien au-delà des limites d'une vie humaine.
Ce que vous choisirez d'en faire, l'objectif que vous voudrez poursuivre avec, ne regarde que vous."

La jeune femme prend le temps de vous observer un à un, mesurant vos réactions, avant de poursuivre d'un ton plus grave.

"Vous avez pu vous en rendre compte, une Exaltation solaire ne passe pas inaperçue. Et si la Chasse Sauvage ne peut pas la percevoir, il lui suffit d'ouvrir les yeux pour la reconnaître. Des yeux qu'elle a en abondance, répartis sur l'ensemble de Création, même s'ils sont bien moins nombreux dans la Province des Rivière qu'ailleurs : le Royaume n'est généralement pas le bienvenu dans ces Terres Charognardes, comme il aime à les nommer. Ce qui ne veut pas dire pour autant que vous y êtes en sécurité : bien qu'en plus petit nombre, la Chasse Sauvage rôde, guettant le moindre indice de la présence d'un Anathème dans le seul but de l'anéantir.
Non Qasim, un bandeau ne suffira malheureusement pas à masquer vos marques, pas plus qu'un morceau de tissu ne masquerait totalement la lumière du soleil. Du moins pas pendant plusieurs semaines.

C'est cela, lié au fait que vous ne savez pas encore de quoi vous êtes réellement capables, qui fait de vous des cibles de choix pour la Chasse Sauvage : il est beaucoup plus facile d'abattre un jeune Exalté isolé et incapable de se cacher, qu'un autre plus âgé qui aura eu le temps d'apprendre à se défendre... et de retrouver ses frères d'armes, son Cercle.
C'est pour cela aussi, j'en suis sûre, que Soleil Invaincu m'a envoyé ces visions de vous, me permettant de vous identifier, de vous trouver. De vous mener ici, en sécurité, le temps que vous appreniez à voler de vos propres ailes. Trop des nôtres ne sont revenus que pour disparaitre aussitôt sous les coups de l'ennemi, parfois avant même d'avoir compris ce qu'ils étaient..."

La tristesse vient voiler le regard de Meira, qui pour la première depuis votre éveil se détourne un instant de vous. Elle prend alors la mesure de l'état de la pièce et de son mobilier, qui a autant souffert du combat que vos propres tenues. Puis elle incline brièvement la tête sur le côté avant de reprendre d'un ton plus léger :

"Mais je manque à tous mes devoirs... je pourrais continuer à discuter longtemps mais peut-être désirez vous prendre un peu de repos ? Ou peut-être ce rafraichissement que je vous ai promis à votre arrivée ?
Croyez bien que je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions. Mais si vous l'acceptez, nous aurons bien assez de temps pour le faire, sans devoir vous priver d'un repas, un bain chaud ou une nuit de sommeil !"

Les muscles toujours bien douloureux, j'écoute notre hôte avec attention. Lorsque sa tristesse est évidente, je m'approche d'elle et si elle me laisse le faire, la prend dans mes bras avant de lui répondre d'une voix douce.

"Je suis sûre que vous les retrouverez aussi, votre cercle."

Je lui adresse un sourire chaleureux avent de me tourner vers mes compagnons, puis donner mon avis. L'exaltation du moment commence à s'apaiser et je reprend conscience de l'état de notre troupe, particulièrement de Sahia et Rinwell.

"Je ne serais pas contre un bain chaud, pour tenter d'apaiser la brûlure de la rosser que je ressens encore fortement. Mais je crois qu'il nous faudra peut-être un médecin pour ces dames..."

J'accueille les réponses de Meira avec un intérêt qui ne diminue pas, bien que moins démonstrative que peut l'être Rinwell dans sa soif de connaissance, ou encore Sheherazade dans l'expression de ses émotions. C'est d'ailleurs vers cette dernière que je me tourne lorsqu'elle mentionne notre état de santé, pourtant identique à celui des autres personnes de la troupe. Je jette un oeil vers Rinwell, constate qu'elle ne semble pas aller plus mal que moi, puis adresse à nouveau un bref regard interrogateur vers la Zenith.

Je n'insiste cependant pas, consciente qu'il pourrait s'agir d'une stratégie qui m'est simplement inconnue. Je me tourne donc vers Meira, à qui je m'adresse de nouveau directement.

"Une bonne nuit de sommeil nous permettrait effectivement de mûrir ce bouleversement et son impact sur nous. Mais avant, je crois saisir la notion d'Armée dans notre répartition par Castes, par spécialités. Et à moins que vous ayez prévu de nous en parler plus tard, j'aimerais savoir : quel serait notre camp, quel serait celui de l'ennemi - excepté la Chasse Sauvage naturellement -, et quelle serait l'enjeu de la Victoire ?"

J'écoute toutes les nouvelles réponses sans quitter mon air de curiosité presque enfantine, tout aussi concentrée qu'avant. J'ai le même regard interrogateur que Sahia vers la Zénith lorsqu'elle mentionne un médecin potentiellement nécessaire. J'écoute les nouvelles questions de la Nuit et hésite quelques secondes avant de dire à mon tour :

"Excusez-moi de revenir au sujet précédent, mais je ne vois pas pourquoi Sahia et moi auraient particulièrement besoin d'un médecin, plus que les autres ... d'ailleurs, si vous aviez des blessures qui doivent être soignées dans l'immédiat, j'en suis un aussi ..."

Je patiente quelques secondes avant de reprendre, sur un ton plus prudent :

"Au fait ... je ne peux pas parler pour tous, mais la douleur semble étrangement ténue pour les blessures subies ... en tout cas les miennes, je ne connais pas les vôtres. Je sais que j'avais probablement des os cassés, et la douleur que je ressens maintenant ressemble plus à celle de courbatures ou de bleus ... comment est-ce possible ?"

Comme précédemment, Meira laisse Sheherazade exprimer sa compassion librement sans chercher à se détourner, opinant doucement du chef aux propos de la jeune femme.
A la dernière remarque de la danseuse, la blonde vient doucement observer plus attentivement Sahia et Rinwell, sans pour autant réagir. Elle écoute ensuite les différents échanges, accueillant les questions qui lui sont adressées d'un signe de tête.

Elle répond d'abord à la plus jeune : "C'est un des effets... secondaires de votre Exaltation. Le second souffle confère une vitalité sans commune mesure avec celle des humains, et vous permettra de guérir bien plus vite qu'aucun d'entre eux.
Mais comprenez bien que cela ne vous rend pas pour autant immortel. J'ai simplement profité de votre inconscience pour soigner la plupart de vos blessures, du moins les plus graves", précise-t-elle en s'adressant cette fois à chacun d'entre vous. "Le reste devrait disparaitre d'ici un jour ou deux tout au plus. Si ce n'est pas le cas, je gage que Rinwell saura vous aider..."

Puis Meira se tourne vers Sahia : "Il y a bien longtemps que les Elus de Soleil invaincu ne sont plus une armée, si tant est que nous l'ayons été un jour. Mais pour répondre pleinement à votre question, il me faudrait commencer par le début... un récit qui risque d'être long et que je vous propose de remettre à demain."

Votre hôte reste quelques instants sans bouger, comme si elle attendait une éventuelle dernière question, puis d'un geste de la main vous invite à la suivre avant de se diriger d'un pas tranquille vers la porte : "J'ai fait préparer des chambres à votre intention. Vous y trouverez effectivement de quoi vous rafraichir, et éventuellement vous changer. Une piètre compensation pour les douleurs que je vous ai infligées, sans nul doute, mais j'espère que vous les trouverez assez confortables pour y rester quelques semaines."

Sans vraiment attendre de réponse, la jeune femme quitte la pièce et vous guide dans sa demeure, reprenant d'abord le trajet que vous aviez fait à l'aller, il y a... une éternité, semble-t-il.
De retour dans le grand hall d'entrée, Meira s'arrête près d'une brune d'une trentaine d'année environ, les cheveux noués en un chignon serré, vêtue d'une robe assez simple de coton gris clair. "Fais préparer un bain et une collation pour chacun de nos invités s'il te plait, Trish", énonce la blonde d'un ton doux et assuré, qui montre toute l'estime qu'elle semble porter à ceux qui travaillent pour elle. Trish répond d'un simple hochement de la tête avant de s'éloigner, tandis que Meira reprend sa traversée du hall jusqu'à un large escalier dont elle gravit aussitôt les marches.

Arrivée au premier étage, elle s'engage vers la droite dans un couloir aux murs aussi blancs que ceux du rez-de-chaussée. Cinq portes ouvertes y sont visibles, chacune menant sur une chambre identique aux autres et ornée sobrement d'une cheminée dans laquelle un feu brûle doucement, un large lit, une armoire, une chaise située devant une petite table ornée d'une bassine et d'un broc d'eau.
La blonde s'arrête auprès de la première porte et invite du geste chacun d'entre vous à en choisir une avant d'ajouter d'une voix aussi apaisante que sincère : "Vous êtes ici chez vous, aussi longtemps que vous le voudrez."

Avant qu'aucun d'entre vous n'ait pu répondre, vous entendez déjà le bruit des pas de jeunes gens qui s'approchent, portant de lourds pots d'eau fumante. Tous entrent dans une chambre et viennent y vider leur charge dans une baignoire de bois, avant de s'éclipser à nouveau, puis de revenir quelques minutes plus tard, leurs pots à nouveau plein. Le manège se répète jusqu'à ce que toutes les baignoires soient remplies, vous laissant bien assez de temps pour choisir votre chambre.
Moins d'une minute plus tard, cinq jeunes femmes reviennent dans le couloir et déposent dans chaque chambre un plateau sur lequel s'entassent un godet et une carafe, un bol fumant duquel s'élève une délicieuse odeur de soupe, de petits pains chauds tout aussi fumants et odorants accompagnés de morceaux de fromage, jambon et saucisson. Des mets simples, mais d'une qualité certaine pour les yeux habitués.

Avant de prendre congé, Meira vous laisse aux bons soins de Trish, précisant que cette dernière ne manquera pas de lui relayer toute demande à laquelle elle ne pourrait répondre directement, puis conclut simplement : "Je vous souhaite à tous une bonne nuit et vous retrouverai demain. Nous aurons alors tout le temps de parler..."

---------------------------------

Que vous choisissiez de rester ensembles quelques temps ou de vous séparer de suite, la nuit s'écoule dans un silence tranquille et réparateur, laissant à chacun la possibilité de dormir tout son saoûl. Deux choses s'imposent à vous au réveil : les douleurs de la veille persistent mais se sont légèrement atténuées, au contraire de vos marques qui brillent avec la même intensité.
Trish vous attend patiemment au bout du couloir et vous annonce, que vous soyez seul ou en groupe, que le petit déjeuner est servi et que madame vous rejoindra bientôt. Elle vous invite ensuite d'un geste de la main accompagné d'un "si vous voulez bien me suivre..." avant de descendre l'escalier. La trentenaire rejoint ainsi le grand hall du rez de chaussée puis s'engage dans un couloir à la décoration identique à celui du premier étage.

La brune s'arrête au niveau d'une large porte double qu'elle ouvre grand avant de s'effacer, vous laissant découvrir une large salle dont s'échappe une délicieuse odeur de pain chaud...
Quiconque pénétrera dans la pièce pourra y voir d'abord une table rectangulaire de belle taille, sur la droite de laquelle six couverts d'une vaisselle raffinée ont été installés. Sur la partie gauche, à proximité d'une imposante cheminée dans laquelle une flambée réchauffe la pièce, se trouvent les mêmes petits pains que vous avez vus la veille, accompagnés de mets autant sucrés que salés -des pâtisseries locales et d'autres plus exotiques fleurant bon le miel ou les épices, plusieurs morceaux de fromage, un jambon et plusieurs saucissons- ainsi que plusieurs théières et un cruchon fumant d'où s'élève une odeur caractéristique de chocolat chaud.

J’écoute toutes les nouvelles réponses avec la même attention et curiosité que précédemment, acquiesçant lorsque Meira dit que je pourrais aider mon cercle si le reste de leurs blessures ne disparaît pas au bout d’un jour ou deux. J’écarquille légèrement les yeux lorsque la jeune femme mentionne les Elus de Soleil Invaincu … et aie l’air une nouvelle fois un peu déçue quand elle dit que ce récit devra attendre le lendemain.
Cet air de déception légère disparaît encore une fois rapidement, et je suis de bon cœur Meira dans sa demeure, m’arrêtant en même temps qu’elle lorsqu’elle parle à Trish avant de reprendre ce chemin que la Zénith nous montre quand elle a fini de parler.
J’observe en silence le manège des employés de Meira. Si quelqu’un veut parler, je reste entendre ce qu’il a à dire. Sinon, je rentre dans une chambre qui n’est pas déjà choisie ou visiblement préférée par quelqu’un d’autre, montrant que je n’ai rien à rajouter.
Le lendemain matin, je sors de la chambre que j’avais choisie, manifestement pas encore tout à fait réveillée. Je regarde autour de moi si d’autres sont sortis, avant de suivre en silence Trish. J’observe toujours sans un mot la pièce que la trentenaire avait ouvert, me tapotant la joue dans le maigre espoir de me réveiller totalement. Je reste plantée là pendant une ou deux minutes, avant de bouger enfin pour me rapprocher de la partie gauche portant tous les aliments présents dans la pièce, fronçant les sourcils, perplexe, devant le cruchon qui sent bon. Je m’en éloigne pour m’asseoir sur la première chaise qui passe.

Le manque de réponses ou le manque de précision pour le million de questions qui se bousculent dans ma tête me laissent perplexe. Je n'ouvre pas la bouche de la nuit, ressassant ce que l'on venait de subir et de découvrir durant notre nuit supposée être réparatrice.

Le lendemain, je me laisse guide à nouveau par Trish pour notre petit déjeuner. Je ne me fais pas prier pour m'assoir à table afin de me préparer une assiette de mets salés, que j'entame goulument.

Après les premières bouchées entamées, je m'adresse à mes compagnons sur une question qui me trotte dans la tête : "N'est-il pas incongru que cette entité ou déïté, le Soleil invaincu, ait besoin d'élus qui peuvent l'être ?"

Le choc de l'Exaltation a été tel que j'ai choisi une chambre sans même y penser. J'ai ensuite dévoré les mets préparés pour nous et passé un temps indécent dans le bain, sans bouger, jusqu'à ce que l'eau glacée finisse par me sortir de ma rêverie pour aller me coucher.

Le lendemain matin, au lever, j'ai remis un peu d'ordre dans ma tête malgré la nuit courte, et je commence à tester mon corps face aux douleurs persistantes. L'exercice matinal est une sorte de devoir sacré que je m'impose depuis des années, et il n'est pas question d'y déroger. Ainsi, au moment de rejoindre les autres pour le déjeuner, cela fait déjà un moment que je suis actif et c'est avec un certain entrain que j'arrive, prenant place autour de la table, prêt à faire honneur au premier repas de la journée.

La question de Qasim m'amène à réfléchir un instant avant de m'essayer à une réponse :
- S'il ne peut pas agir directement lui-même, j'imagine que c'est la meilleure solution qu'il a trouvé. Et si j'en crois ce que j'ai entendu des Exaltés Solaires, certes ils ne sont pas... je me reprends. Si sur le papier nous ne sommes pas invincibles, il faudra tout de même se lever tôt pour parvenir à nous vaincre. Du moins une fois entraînés comme il se doit.

Si je suis surprise par la répartie de la jeune médecin, cela ne m'empêche pas de garder bonne mine tout en haussant les épaules. Après tout, c'est elle la médecin avec le crâne encore plein de sang et la situation se prête après tout aux miracles, ce que confirme plus ou moins à demi-mots notre hôte. J'écoute les paroles de Meira avec attention, assez d'accord sur le fait qu'un temps d'introspection et de repos semble être de mise ien que toujours endolorie, j'accueille avec plaisir toute personne qui souhaiterait converser avec moi, un peu déconfite devant le silence de mon frère, que je respecte cependant.

Le lendemain matin, j'accueille Trish avec bonhommie et énergie et je réserve le même salut à chacun, pétillante de bonne humeur. Je rentre dans la pièce, attirée par le délicieux fumet qui s'en échappe et observe avec un plaisir presque enfantin les plats qui ont été préparés par le personnel de maison. Je hume les plats les plus exotiques tout en fredonnant un air gai, bougeant au rythme de l'air chanté sans même m'en rendre compte. Je finis par opter pour du thé, et une multitude de petite quantité d'un peu tout, surtout les plats exotiques que je ne connais pas, ou peu.

La remarque de mon frère m'arrache un sourire, et Mékios répond avant que je n'ai pu le faire, je poursuis, amuse et guillerette.

"Un peu de thé pour faire partir cette ronchonnerie mon cher frère ? Et vous autres, comment vous sentez-vous ce matin ? Mieux j'espère ?"

J'observe tout le monde sans quitter mon silence, écoutant tout ce qui est dit aussi concentrée que possible malgré mon état endormi. En voyant tout le monde se servir à manger, je me lève pour une fois de plus me diriger vers l'autre bout de la table. Je reste plusieurs secondes dans la lune devant tous les plats, avant de me ressaisir et de me prendre à mon tour à manger, imitant qasim en prenant uniquement du salé ... en esquivant tout ce qui n'est bon pour la santé. J'hésite plusieurs secondes avant de prendre une tasse du contenu du cruchon, puis retourne m'asseoir à la place que j'avais avant.
Je trempe à peine le bout des lèvres dans ma tasse ... et mes yeux s'écarquillent brusquement. Je snobe le reste de mon assiette jusqu'à ce que j'ai fini ma boisson, écoutant de nouveau les personnes autour de moi, visiblement bien plus réveillée que quelques secondes auparavant. Je souris, amusée, quand Sheherazade évoque la ronchonnerie de Qasim, avant de lui répondre sur un ton plus joyeux que j'aurais pu avoir quelques secondes plus tôt :

"Effectivement, la douleur est toujours là, mais moins présente ... il n'y a plus qu'à espérer qu'elle finira de disparaître rapidement."

Je continue, autant à l'attention de Sheherazade que des autres :

"Et vous ?"

Moi aussi, j'ai vécu une sorte de frustration lorsque Meira a évacué les questions, bien que sa réponse à la mienne, d'une certaine façon, était une réponse. Ou une réponse faisant office de liminaire, dont je me satisfais sur le moment. Je sais en effet reconnaître ces moments où il faut se laisser porter sans insister, et ai pris l'habitude de ne pas aller à contre courant dans ces instants.

Je me laisse donc guider dans la demeure, observant discrètement -mais néanmoins très attentivement- l'architecture du lieu, cherchant notamment à deviner ce que la clarté omniprésente pourrait nous dissimuler, conservant le silence. Je remercie les différentes personnes s'afférant à la préparation de notre confort, tâche de ne me trouver sur le chemin à aucun moment, m'effaçant même s'il le faut pour les laisser se déplacer et remplir leur travail.

Et c'est tout à fait naturellement que je profite de mon bain sitôt celui-ci prêt.

Le lendemain matin, lorsque je redescends pour rejoindre la troupe -et profiter d'un petit déjeuner fort agréable-, je suis vêtue différemment de la veille. Je suis cette fois parée d'une longue robe noire dont les côtés sont fendus jusqu'en haut des cuisses, laissant voir suffisamment sans jamais trop montrer. Un voile opportun recouvre le décolleté offert par le tissu, tandis qu'un autre forme une sorte de cape, passant du haut des épaules à l'arrière des coudes comme une sorte d'ailes repliées.

Je me déplace d'une démarche souple malgré ce qui nous reste de blessure, et bien que la nuit semble avoir été plus courte et moins rassérénante que prévu, je souris agréablement à ceux dont je croise le regard, la fragrance délicate d'un bon parfum discret m'accompagnant au gré de mes mouvements.

Assise en bout de table -celui opposé à l'entrée-, je me sers à la façon de Shéhérazade, puisant dans plusieurs mets, en quantité raisonnable. Je bois du thé et écoute les conversations, sans modifier mon attitude affable. C'est à Rinwell que je réponds en premier lieu d'un :

"Très bien merci. La nuit a été... particulièrement agréable." dis-je après un bref instant de réflexion. Je lâche un nouveau franc sourire avant de me tourner vers Qasim, et tenter de lui donner du grain à moudre pour sa réflexion somme toute pas dénuée d'intérêt :

"On peut dire d'un général qu'il est invaincu. Pourtant, ce n'est pas lui qui prend les coups. Et il s'avère que même s'il remporte la bataille, ceux qui seront morts pour cette issue auront bel et bien été vaincus, individuellement.

En outre, Soleil Invaincu peut n'avoir jamais été vaincu à son échelle, cela n'implique pas que nous agissions au même niveau. J'imagine que si conflit il y a entre les factions immortelles, et nos souvenirs semblent prouver que c'est le cas, nous ne guerroyons pas sur les mêmes champs de bataille."

Et de me servir dans un nouveau plat de façon élégante, toute trace d'un passé militaire ayant disparu de mes manières qui me désigneraient plutôt comme femme de cours.

Je réponds positivement à la question de Rinwell, d'un signe de tête positif accompagné par un sourire bienveillant, ne souhaitant pas interrompre la réponse de Sahia à mon frère. Je trouve un plaisir certain à être ici, en votre présence à tous et mange avec des manières qui démontrent que je ne suis également pas étrangère aux bonnes manières, sans pour autant rien cacher de ma joie.

J'écoute d'ailleurs les propos de la plus âgée des deux Lookhyane, mon visage affichant que je trouve son raisonnement tout à fait valide. Je ne peux m'empêcher de m'adresser à Sahia et Mékios après cette intervention :

"Vous et Mékios, vous êtes montrés particulièrement vaillant hier soir, officiez-vous comme militaires à Lookshy ?"

J'attends la réponse avec une impatience curieuse.

Je hoche la tête en adressant un sourire entendu à Sheherazade, et je réponds d'un ton sûr non dénué d'une certaine fierté.
- A ce qu'on dit tout lookshyan est plus ou moins militaire, mais pour ma part c'est plutôt plus que moins. C'est une véritable histoire familiale note bien, je ne crois pas qu'il existe sur les trois dernières générations de Sikander un seul membre de la famille qui y ait échappé. Nous aimons cela, ou alors nous avons le sens du devoir, ou les deux, c'est selon... Mon père est un général Sang-de-dragon réputé, ma mère une championne célèbre, et moi jusqu'à présent... Et bien pas grand chose, un simple shozeï anonyme.
Je rigole un peu avant de terminer.
- Mais certaines portes viennent enfin de s'ouvrir.
Je jette un coup d'oeil complice à Sahia, conscient que je n'ai rien dévoilé la concernant.

Après avoir acquiescé en réponse silencieuse à Shéherazade, je me concentre sur l'explication apportée par Mékios tout en savourant le petit déjeuner par petites bouchées. J'affiche un sourire complice doublé d'un regard qui ne l'est pas moins vers le soldat à la chevelure dorée avant de me tourner vers la danseuse, et d'ajouter à l'adresse de cette dernière.

"Comme l'a dit Mékios nous sommes effectivement tous militaires à Lookshy : cinq années de Service puis la réserve à vie, pour les Citoyens. En ce qui me concerne j'ai effectué l'essentiel de mon Service au sein du directorat des opérations. Aux opérations tactiques et stratégiques durant la Guerre, parfois aux côtés de Mékios, puis en conseil détaché auprès de divers royaumes les dernières années. J'ai quitté l'armée il y a cinq ans maintenant au grade de Shozei, bien que la réserve m'oblige à effectuer une période d'entraînement chaque année."

J'accentue légèrement mon sourire en signe de fin d'explication, puis plisse légèrement les yeux alors que je m'apprête à entamer mes questions, mes yeux passant alternativement sur chacune des personnes concernées en commençant par Rinwell.

"J'imagine que tu as moins de 18 ans et que tu n'as pas encore intégré la Légion ?"

Puis vers Shéherazade et Qasim :

"De votre côté, il me semble que vous n'êtes pas originaires de la région si je ne m'abuse ? Qasim semble avoir brillamment réussi dans les affaires et... si vous êtes venus ici pour affaires, doit-on comprendre que le Papillon du Désert est également dans le commerce ? En lien avec cette ...maisonnée ?"

J'observe Sahia en silence, un peu étonnée de son changement de tenue, sans pour autant la dévisager avec trop d'insistance. J'écoute une fois de plus toute les nouvelles paroles sans prononcer le moindre mot, toute aussi intéressée lorsque la Lookshyane répond à la question de Qasim que lorsque Mékios le fait à celle de Sheherazade. Je ne perds pas mon intérêt quand Sahia répond elle aussi à la danseuse, acquiesçant en silence à sa question sur mon âge. Je reprends cet air de curiosité insatiable que les autres membres de mon cercle ont pu voir la veille lorsqu'elle pose sa dernière question.

J'écoute la première réponse de Sahia à mon intention, acquiesçant à son opinion tout en répondant, intéressé par le débat :

"Intéressant point de vue, en effet. Et je partirai sur l'hypothèse que puisque les Exaltés ont un ennemi commun ; la Chasse Sauvage, ceux-ci ont leur propre entité ou déité, tenant tête au Soleil invaincu..."

J'écoute le sujet suivant, savamment abordé par ma sœur, ainsi que les réponses données par Mékios et Sahia. Une routine reprend le dessus et je me permets un commentaire flatteur : "Nulle surprise que vous ayez été tout deux choisis par Meira avec un historique pareil. Et grâce à votre expérience Sahia, vous nous avez sorti d'un sacré pétrin en coordonnant nos efforts." grâce à mon expérience sociale au sein de la Guilde plus que par intérêt pour ce domaine.

J'émets un ricanement, puis réponds humblement : "Au vu de ce que nous avons été témoin hier, et de l'existence des Exaltés, je suis bien loin de briller, si j'ose dire...  Mais la bonne fortune m'a souri. En effet, nous ne sommes pas de la région, mais originaires de Chiaroscuro dans les terres du Sud. Disons que nous avons été contraints plus que choisi de quitter ces terres, mais je pense que nous avons été naturellement attirés par cette ville et décidés mutuellement de nous y installer."

Je laisse ensuite ma sœur le soin de répondre à la question qui lui est adressée.