Chapitre 1 : Un recommencement

Je continue de profiter joyeusement des mets, écoutant les réponses d'une oreille attentive tout en laissant mon regard papillonner dans la pièce, observant un petit peu chaque personne présente. Je laisse mon frère répondre, puis me fend d'un sourire qui plisse mes yeux avant de répondre, visiblement absolument ravie d'avoir entendu les propos de Sahia.

"Oh ! Moi ? Le commerce ? Oh grands dieux, non !" J'ai un leger gloussement, puis reprend.

"Je me contente de faire ce que j'aime, chevaucher, danser, et offrir mon message. C'est Qasim qui s'occupe de tout le reste !"

J'accompagne mes derniers propos d'un signe de la main, montrant mon désintérêt pour la paperasse, le commerce, ou ce qui pourrait y être rattaché.

"Pour ce qui est de Lookshy, je ne sais pas si nous l'avons trouvé, ou si c'est elle qui nous a trouvé…" Mon regard se brouille quelques instants et je perds de ma gaieté avant de me ressaisir, le tout n'ayant duré que quelques secondes. "Mais toujours est-il que ce fut une étape bienvenue, même si nous n'avons pas vraiment le profil typique des locaux..." Un petit rire chaleureux s'échappe de ma bouche sur cette touche d'humour.

A mon tour je note les réponses avec intérêt, silencieuses comme verbales, sans égratigner la moindre règle sociale. Je souris et accepte la flatterie de Qasim, affichant une expression empreinte de gratitude lorsqu'il nous complimente, la lueur dans mes yeux ne manquant pas d'apparaitre aux experts sociaux auxquels je fais face comme la marque d'un jeu social assumé.

A la suite de quoi j'écoute sa soeur, notant silencieusement le sujet sensible que je ne relève pas, laissant la jolie jeune femme dans le confort des sujets qu'elle préfère aborder. Visiblement intéressée par ce qui s'est dit, je finis par reprendre le flambeau à la suite de Shéherazade, l'attitude affable.

"Un message à transmettre donc ? Aurons-nous le plaisir de l'entendre ?"

J'écoute également les échanges en faisant honneur à la nourriture et aux boissons qui nous sont offertes. Mon regard passe de mon assiette vers mes compagnons à mesure qu'ils prennent la parole, s'attardant tour à tour sur Rinwell, Qasim, Sheherazade et Sahia.

Tout comme Sahia la formulation choisie par Sheherazade m'interpelle, et nul doute que j'aurais moi-même posé la même question si la ravissante brune ne m'avait pas devancé pour le faire.
C'est donc avec un certain intérêt que j'attends la réponse de la danseuse.

La question m'arrache un sourire, mon expression se parant de diverses émotions. Je marque une petite pause avant de répondre, optant pour la sincérité. Je crois dur comme le fer à mes propos, et il est évident que toute ma conviction nait de ces quelques phrases réductrices, mais évocatrice de ce que je cherche à communiquer.

"Je trouve qu'il y a trop de souffrance dans ce monde et qu'il faut le guérir pour que ses habitants aillent mieux... Je danse pour apporter le réconfort aux âmes blessées, guérir les esprits brisés et apaiser les tourments intérieurs de mes auditeurs."

Je marque une nouvelle petite pause, accompagné d'un très court et léger rire cristallin.

"Ou c'est ce que je me suis imaginée depuis toujours. Je sais que cela peut paraître... Naif, ou utopique. Mais voir leurs yeux s'illuminer, les sourire naître, la joie bourgeonner... C'est ce qui me porte depuis mes premiers pas de danse."

Je vous observe, attendant votre jugement avec sérénité. Après tout, des liens uniques nous unissent maintenant, et chacun de nos mots, comme nos actes, ont le pouvoir de nous affecter les uns les autres comme personne n'avait eu ce pouvoir auparavant.

Toutes les questions et réponses sont encore une fois écoutées avec beaucoup d'attention, particulièrement les paroles de Qasim racontant d'où il vient et Sheherazade parler d'elle et du commerce. Comme presque toutes les autres personnes présentes dans cette pièce, j'attends la réponse de la danseuse sur son message avec une impatience difficilement dissimulée. J'entends ses premiers mots avec une légère surprise, mais à la fin de ses paroles, un grand sourire radieux teinté d'admiration s'épanouit sur mon visage. Ce que je dis quelques secondes plus tard est empreint de la même conviction dont a fait preuve la Zénith, des mots prononcés sans aucune hésitation.

"Cela peut paraître naïf ou utopique ... par des personnes dotées de peu de compassion. Vous essayez d'apaiser les gens autour de vous, et c'est quelque chose d'extrêmement admirable et d'honorable. Peu de personnes en seraient capable ..."

Je continue sans perdre mon sourire. N'importe qui peut lire sur mon visage que mes paroles sont honnêtes, et véritablement pensées.

"Ce qui vous porte depuis vos premiers pas de danse, comme vous dites ... chacun sait que c'est une chose qui peut s'évaporer comme neige au soleil ... D'un simple aléa de la vie à une véritable catastrophe, la joie d'une personne peut s'effacer en un clin d'œil. Je ne pense pas que vous l'ignoriez, mais vous avez choisi d'essayer de faire renaître la joie autour de vous ... vous dansez en vous servant de votre art comme d'une méthode de guérison de l'esprit ...

Je poursuis mon monologue, mon sourire s'effaçant légèrement et se teintant d'une légère tristesse ...
"Vous avez raison, ce monde contient trop de souffrance. Tout ce que l'on pourrait dire ne le changera jamais, hélas ..."

Mon sourire reprend sa joie et son admiration quand je reprends la parole encore une fois :

"Il y a plusieurs manières de guérir quelqu'un. Certaines personnes se contentent de soigner le corps, car elles ne savent pas comment faire plus ... malheureusement, elles ne pourront qu'apaiser la douleur physique, et non celle de l'esprit, pourtant toute aussi néfaste ..."

Je grimace, semblant parler en connaissance de cause. Mais je souris de nouveau, de cet air chaleureux qui ne me quitte que rarement, achevant enfin ce monologue :

"D'autres décident de guérir le plus difficile à atteindre ... et prouvent qu'elles sont tout aussi utiles à leur société que le reste, malgré ce que certains pourraient en dire. Pour moi, votre "message" dont vous avez parlé n'est pas naïf, mais louable et porteur d'espoir. L'espoir que la souffrance ne reste pas pour toujours ... que le monde n'est pas entièrement composé de peur et de douleur, mais aussi de joie ..."

J'arrête de parler, mais mes yeux montrent toute l'admiration récemment apparue pour Sheherazade. Quelques secondes passent, puis je grimace de nouveau, cette fois plus comme une auto-dérision, avant de reprendre la parole :

"Remarque, je défends ce que vous dîtes, mais n'importe qui pourrait trouver mes mots naïfs eux aussi ..."

Mes yeux sombres transmettent sans peine l'intérêt éprouvé à la réponse de la danseuse que j'écoute sans l'interrompre, léger sourire vissé aux lèvres. Je n'amène plus rien à ma bouche, mettant la consommation de mon petit déjeuner en pause afin de ne pas risquer d'atténuer l'attention que je porte au Message, ni de laisser penser que c'est le cas.

Je continue à sourire à la beauté du sud tout en hochant légèrement la tête pour la remercier une fois qu'elle a fini, et alors que je m'apprête à répondre, Rinwell me devance. Je lui laisse la préséance en conservant la même attitude, puis réponds à mon tour après m'être de nouveau tourné vers Sheherazade, sans me départir de mon expression bienveillante et chaleureuse :

"Je n'aurais pas dit mieux que Rinwell."

La porte s'ouvre peu après les derniers mots de Sahia, laissant entrer une Meira à l'attitude aussi ouverte et bienveillante que la veille. Vêtue d'une robe à la coupe simple mais d'une étoffe raffinée assortie à la couleur de ses yeux, la jeune femme reste un instant sur le seuil à vous observer avant qu'un sourire ne fleurisse sur ses lèvres.

Elle s'avance alors en direction de la table d'un pas léger, son sourire grandissant à chaque enjambée. La jolie blonde ressent de toute évidence un plaisir certain à vous voir rassemblés devant elle et ne cherche pas à s'en cacher.

"Bien le bonjour à tous ! Pardonnez mon retard : j'aurais souhaitée vous accueillir ce matin encore mais des affaires m'ont retenues plus longtemps que prévu. Espérons que cela ne devienne pas une habitude", ajoute-t-elle avec un léger rire. Puis elle s'empare d'une théière encore pleine et vient prendre place après de vous sur la dernière chaise encore disponible.
"Je suis ravie de voir que la nuit semble avoir été bénéfique. L'un d'entre vous ressent-il encore quelques douleurs ou inconforts ?
Encore un peu de thé ?", ajoute-t-elle sur le même ton avant de servir quiconque lui aura répondu - et de se servir elle-même par la même occasion.

Meira repose ensuite la théière et porte sa tasse à ses lèvres, humant doucement l'arôme qui s'en dégage, laissant ainsi à tous le temps de répondre à sa première question avant de reprendre elle-même la parole.
"Je vous ai promis des réponses, et des réponses vous aurez - sur vous, ce que vous êtes, et sur votre place au sein de notre monde. Mais pour mieux vous les fournir, il me faut savoir... à quel point êtes vous familiers avec l'histoire de Création ?"

La jeune femme savoure une gorgée de thé avec un plaisir certain, vite interrompu par une pensée qu'elle exprime aussitôt :
"Quoi qu'avec cinq d'entre vous il vaut sans doute mieux ne rien omettre, quitte à ce que certains connaissent déjà une partie de l'histoire..."
Son regard passe rapidement de l'un à l'autre avant qu'elle ne hoche la tête pour confirmer son idée, sans qu'il soit réellement possible de savoir si ce qu'elle a vu l'a influencé, ou non.

"L'histoire... l'Histoire dit-on est contée par les vainqueurs. Le fait est que l'Histoire majoritairement connue aujourd'hui n'en est qu'une version. Il en existe une autre, à la fois similaire et bien différente.
Je vais vous conter les deux versions, et vous serez libres alors de choisir laquelle vous semble la plus... plausible.

Mais ce récit, ces récits seront longs et je ne doute pas que vos questions seront nombreuses.
Avez-vous des sujets urgents que vous souhaiteriez aborder avant que je ne commence ?"

Lorsque Meira fait son entrée je me relève, les bras le long du corps, par respect pour l'hôte qu'elle est. Ou parce que je crains une "ouverture" vraiment identique à celle de la veille, qui nous vaudrait de nouvelles fractures et bosses. Les deux causes ayant le même effet, je me fends d'un léger sourire et d'une inclinaison de la tête en guise de salut, et comme le veulent les règles de bienséance, guette un signe de sa part pour me rasseoir.

Une fois de nouveau assise donc, je l'écoute avec un intérêt non feint, silencieuse et aussi concentrée sur ce que je vois que sur ce que j'entends. J'accepte le thé par politesse -ce qui peut être déduit du fait que je tarde à l'entamer-. Mes yeux sombres se portent sur mes compagnes et compagnons lorsque Meira nous propose de livrer notre version de l'Histoire de Création, puis à nouveau sur notre hôte lorsqu'elle se ravise.

Enfin, je patiente une fois qu'elle nous incite à poser nos questions, m'assurant que je ne la couperais pas juste avant qu'elle se ravise à nouveau, puis j'ouvre le bal une fois certaine que je ne couperais pas davantage la parole à l'un des convives.

"Au risque de paraître cavalière, puisque vous le proposez j'aimerais savoir ce que vous êtes pour nous et ce que vous serez pour nous. Si j'ai bien compris ce qui vous pousse à nous garder ici les prochains temps, vous avez pris des risques en nous éveillant - si je puis appeler ça ainsi-, et vous en prendrez davantage encore en nous logeant dans la durée. Pourquoi assumez-vous ces risques ? D'autant que... si ne me m'abuse, votre famille est officiellement éteinte. Si elle ne l'est pas réellement, ne risquez-vous pas de nuire au Secret ce faisant ?"

A la suite de quoi je retrouve le silence, laissant place à d'autres questions ou aux réponses de Meira.

Durant les échanges, le roulement de mes yeux à l'évocation des souffrances dans le monde qu'il faut guérir a été clairement visible. Il est clairement concevable que les termes d'Utopie a probablement été émis de ma part plus d'une fois lors de conversations avec ma sœur.

Ces termes repris par Rinwell, ponctués par un soi-disant manque de compassion, me tire un haussement de sourcils interrogateur, mais je ne m'exprime pas plus sur le sujet. Un débat sur ce sujet ne présente à priori aucun intérêt pour moi. Cependant, le déroulé des explications de la jeune femme ne m'a pas laissé indifférent, me portant dans une réflexion silencieuse.

L'arrivée de Meira brise ce moment de réflexion, je réponds d'un simple geste de la main pour refuser poliment le service du thé et attends que celle-ci nous conte l'histoire de Création avec avidité. L'interruption de Sahia me tire un hochement de tête ; j'ajoute à mon tour :

"Je serais également intéressé de comprendre ce que vous gagnez à prendre un tel risque. Mais il me tarde aussi de connaître ce fameux récit, que vous avez laissé sur un suspense insoutenable depuis hier soir."

Dire que je suis agréablement surprise par le discours de Rinwell est peu dire, j'accueille sa réponse, et sa propre version des choses, avec des yeux brillants. Il est clair que nous partageons un objectif et un désir commun, même si notre façon d'y parvenir n'est pas la même. La réponse de Sahia fini d'amener un sourire radieux sur mes lèvres et je suis visiblement émue.

J'accueille notre hôte avec ma bonne humeur habituelle et écoute les questions de Sahia et Qasim, ouvrant d'abord de grands yeux. La surprise passée, j'affiche quelques instants de réflexion avant de laisser place à une attitude sereine. Je n'ajoute rien et reste silencieuse.

Les derniers échanges entre Sheherazade et Rinwell semblent avoir glissé sur moi comme une pluie fine, à moins que ce ne soit le petit déjeuner copieux qui ait capturé mon attention plus que de raison.

Quoiqu'il en soit, je ne peux pas rater l'arrivée de notre hôtesse et je m'interromps en la voyant entrer, la saluant d'un mouvement marqué de la tête, très militaire. Le sourire qui apparaît sur mes lèvres l'est beaucoup moins, et marque un certain plaisir à la revoir après les évènements de la veille dont je ne semble retenir que des choses extrêmement positives.

Pour le moment je reste cois, écoutant ses paroles puis les premières questions qui lui sont adressées, intéressé par les réponses à venir.

J'ai une expression soulagée en entendant la réponse de Sahia après mon discours, qui devient radieuse en voyant la réaction de Sheherazade.
Quand Meira entre dans la pièce, j'ai le même mouvement que la Nuit et me lève en signe de respect, un sourire de bienvenue sur les lèvres. Je ne m'asseois que lorsque notre hôte prend place à son tour. Je secoue la tête en signe de négation quand elle nous propose du thé (je tiens à garder le goût de la boisson brune et sucrée !), puis souris plus joyeusement cette fois-ci, les yeux pétillants de curiosité, alors qu'elle nous dit que nous aurons nos réponses. J'écoute les questions de Sahia avec attention, hochant légèrement la tête pour signaler que j'avais les mêmes, et ai un sourire amusé quand Qasim cite le suspens que Meira avait laissé hier soir. J'ai l'air tout aussi intéressée que les autres personnes présentes dans cette pièce par les réponses à venir.

Meira écoute les questions de Sahia avec une attention évidente, reposant doucement sa tasse avant que l'archère n'ait fini de s'exprimer. Elle accueille l'ajout de Qasim avec autant de sérieux, puis balaie ses trois autres invités du regard.
Une fois certaine de n'interrompre aucune autre question, la jeune femme hoche la tête et commence à répondre avec un léger sourire. Son regard brille d'une détermination sans faille, totalement en accord avec le ton de sa voix.

"Prendre un risque ou rester cacher est un choix que chacun doit faire en son âme et conscience... mais soyons honnête : le risque pour moi aujourd'hui est sans comparaison avec le votre. L'Exaltation n'est pas nommée Second Souffle sans raison : vous êtes tels des enfants, à peine conscient des possibilités qui s'offrent désormais à vous."

A mesure qu'elle s'exprime, son ton dénué de toute condescendance, le regard de Meira passe alternativement sur chacun d'entre vous, guettant le moindre signe d'incompréhension ou d'inconfort.

"Le don que Soleil Invaincu vous a fait grandira et se renforcera avec le temps, à condition que la Chasse Sauvage ne vous trouve pas avant. Ses membres le savent bien, c'est pour cette raison qu'ils traquent avant tout les plus jeunes d'entre nous. Fort heureusement, rien ne peut laisser présager d'une Exaltation Solaire et la pièce où nous nous trouvions hier a été spécialement conçue pour ne rien laisser échapper de ce qui se déroule en son sein. Nul ne sait donc ce que vous êtes devenus... ni ici, ni ailleurs - y compris à Lookshy. Ce qui avouons le limite grandement les risques !

Quant à moi... Je serai pour vous ce que vous me laisserez être, ni plus ni moins, mais j'espère vous servir de guide et que ma demeure vous serve de refuge assez longtemps pour que vous puissiez vous défendre seuls contre ceux qui voudraient vous chasser. Que vous puissiez choisir librement comment vous voudrez mener votre vie, et l'empreinte que vous voudrez laisser sur ce monde."

Meira reprend sa tasse et la porte à ses lèvres avant d'ajouter à l'intention de Sahia :

"N'ayez crainte, il n'y a aucun secret à préserver : je suis la dernière Nerigus en vie. Il y a d'ailleurs bien longtemps que je n'avais plus porté ce nom... mais je savais qu'il attiserait suffisamment votre curiosité pour vous mener jusqu'à moi."

J'accueille les réponses de Meira avec gratitude autant qu'avec une concentration manifeste. De temps à autres je hoche la tête pour marquer ma compréhension et inciter la belle blonde à poursuivre. Je plisse un peu les yeux lorsqu'elle termine, mais c'est un léger sourire qui se dessine sur mes lèvres au moment de m'adresser à elle de nouveau.

"J'entends bien que le risque est plus grand pour nous. Mais nous n'avons pas le choix. Vous l'avez. Nous vous devons donc, a priori, une profonde gratitude, pour ce que vous êtes et serez probablement."

Je plisse à nouveau les yeux, semble hésiter un très court instant, puis reprends, le ton interrogatif :

"Si mes connaissances en Histoire et en géopolitique ne sont pas trop erronées, vous auriez donc... 680 ans ? Disparue lors de la dernière tentative d'invasion du Royaume ?"

J'écoute les nouvelles explications données par Meira tout en incorporant les informations par Sahia tout en étouffant une petite toux à l'évocation de l'âge de la femme qui nous fait face.

"680 ans ? Pas étonnant que je ne connaisse pas grand-chose sur le nom de Nerigus. Avez-vous porté d'autres noms que celui de Nerigus, ou Meira qui aurait pu nous évoquer quoi que ce soit dans les Terres du Sud ?"

A l'annonce de l'âge de notre hôte, je reste un temps sans voix, bouche bée et complètement stupéfaite, alors que Sahia et Qasim posent leurs questions à la blonde. Je reste plusieurs secondes dans ce silence perplexe, autant pour être sûre de ne couper la parole à personne que pour trouver mes mots. Quand je prends finalement la parole, ma voix est encore hésitante :

"680 ans ... même si Sahia se serait légèrement trompée, je ne pense pas de beaucoup, cela fait quand même long ..."

Je reprends un timbre plus assuré alors que j'aborde enfin ce dont je voulais parler :

"Vous avez dit que nous n'étions pas des Exaltés Terrestres, comme il y en a à Lookshy, mais des Anathèmes ... je serais peut-être la seule, mais je ne savais pas qu'ils, donc que nous, avons une espérance de vie plus grande que les Sangs-de-Dragon ... mais à quel point exactement ? Je trouve déjà que les Terrestres vivent longtemps, mais plus encore, j'ai un peu de mal à l'imaginer ..."

Je patiente quelques secondes avant de poursuivre :

"Pour ma part, le peu que je sais sur ce type d'Exaltés, c'est que l'Ile Bénie les considèrent comme des Anathèmes et que chaque Caste est vue d'une manière différente ... de quelle façon, à part l'âge manifestement, les Terrestres et les Exaltés sont différents ? Et puisque nous sommes dans les questions, je viens d'y penser, quelles sont les rôles de chaque Caste dans un cercle ? S'il y a des informations plus complètes et/ou plus vraies que celles que nous avons plus entendre autrefois ..."

J'émets un petit rire à l'annonce de l'âge potentiel de notre hôtesse, nouveau témoignage s'il en était besoin de la puissance de l'exaltation dont nous bénéficions désormais. Tandis que mes camarades y vont de leurs questions, je me renferme un tout petit peu, tout en continuant de regarder Meira de temps à autre.

Je me décide finalement à parler à mon tour :
- Ma question est bien plus terre-à-terre. Ma famille vit à Lookshy. Mon père, ma mère, une partie de mes cousins, oncles et tantes, sont des Sangs de Dragon. Qu'en est-il d'eux ? Sont-ils devenus tout à coup de potentiels ennemis ? Apparemment vous n'avez pas tout à fait rompu vos liens avec Lookshy. Ma famille compte pour moi, je n'ai aucune intention de leur tourner le dos, encore moins d'avoir à les combattre.

Meira avale une gorgée de son thé avant qu'un sourire n'orne à nouveau ses lèvres à la mention du choix, puis que la question de sa disparition ramène un air plus sérieux sur son visage. Elle ne réagit pourtant pas plus qu'un simple hochement de la tête, et comme à son habitude observe attentivement chacun d'entre vous, jaugeant vos réactions, accueillant patiemment vos questions.

Elle adresse ensuite un sourire rassurant à Mekios :

"C'est l'Ordre Immaculé qui a déclaré les Exaltés Célestes comme Anathèmes, un Ordre intimement lié au Royaume... ce Royaume dont la Septième Légion s'est désolidarisé il y a bien longtemps, rejetant en bloc l'Usurpatrice et tout ce qu'elle a construit pour lui permettre de maintenir son pouvoir. A ma connaissance, et j'ose croire que mes informations sont exactes, aucun Sang-de-Dragon issu de Lookshy ne fait partie aujourd'hui de la Chasse Sauvage... ni même ne souhaiterait en faire partie.

Les liens que vous entretiendrez à l'avenir avec vos proches ne dépendent que de vous, et d'eux. De ce que vous choisirez de leur dire, ou de leur cacher. Et dans le premier cas de leur façon de l'accepter, ou de le rejeter."

La jeune femme termine sa tasse et la repose sur la table, vous laissant le temps de digérer ses paroles. Elle reprend en hochant la tête d'un air satisfait :

"Je n'aurais sûrement pas eu le même discours si vous n'étiez pas tous plus ou moins liés à Lookshy, car la Chasse Sauvage n'hésitera pas à utiliser tous les moyens possibles contre vous, y compris s'en prendre à vos proches... mais la Septième Légion a prouvé maintes fois qu'elle sait protéger les siens, et cette Province qu'elle chérit tant.

Vos connaissances sont justes, Sahia", continue Meira d'un ton étonnament détaché, avec un signe de tête en direction de l'archère. "J'ai choisi de disparaitre après la dernière tentative d'invasion de l'Impératrice et la mort du dernier Nerigus à part moi. La Septième Légion était libérée du joug du Royaume, Lookshy avait prouvé sa puissance au delà de tout doute possible et imaginable... l'un comme l'autre n'avait plus besoin de mon aide. Je les ai quittés il y a 680 ans... j'étais alors âgée de 250 ans. A peu près."

La blonde se tourne cette fois vers Rinwell avant d'ajouter : "Je vous donnerai toutes les informations dont je dispose sur les nôtres, à commencer par les Castes et leurs rôles tels qu'ils existaient à une autre époque. Il y a malheureusement trop de différences entre les Exaltés Terrestres et les Exaltés Solaires, dont vous faites partie, pour les citer toutes aujourd'hui... mais la plus simple, et magré tout peut-être la plus difficile à appréhender, concerne leur espérance de vie : les Sang-de-Dragon vivent généralement deux ou trois cent ans, bien au delà d'une vie humaine, mais à peine un dixième de celle d'un Elu du Soleil..."

Meira finit par briser le silence qu'elle avait laissé s'installer et répond cette fois à Qasim : "Je n'ai laissé que peu d'empreintes notables lors des dernières années, et n'ai que peu quitté la Province des Rivières." Puis à l'ensemble de ses invités :
"Ce n'est que récemment que j'ai décidé de sortir de l'ombre, du moins dans une certaine mesure. J'aurais pu rester cachée, c'est vrai. J'ai fait un choix, mon choix, celui de répondre à l'appel de Soleil Invaincu...

Rien ne vous oblige à faire de même. Le Second Souffle qui vous a été offert n'exige rien en retour, c'est à vous -et à vous seuls- de décider comment vous voudrez l'utiliser... ou non."

J'accueille avec une satisfaction évidente les réponses apportées par Meira, en particulier sur la question concernant les futures relations avec ma famille résidant à Lookshy.

J'ai fini par achever mon copieux petit-déjeuner et je repousse l'assiette d'un revers de main, tandis que je me fais un peu plus songeur, quand notre hôtesse dérive sur les différences notables entre nous et les Sangs de Dragon, notamment la question de l'âge, qu'elle évoque également pour son propre cas.

Ses propos conclusifs m'arrachent un sourire trompeur, car en réalité tout dans mon attitude, mon regard, témoigne d'une détermination brûlante et inébranlable.
- Je ne parlerai que pour moi. Sachez donc chère Meira que je compte bien tirer tout le parti possible et imaginable des pouvoirs que Soleil Invaincu a bien voulu me conférer, pour le bien de notre cercle et au-delà. Et que je ne ménagerai aucun effort pour m'en montrer capable. J'ai l'incroyable chance de voir mon rêve le plus profond devenir réalité, et ce n'est pas moi qui irai maintenant renier cette bénédiction. Je vous suis très reconnaissant de m'avoir, nous avoir, éveillés et ma soif d'apprendre et de progresser n'a jamais été aussi grande que ce matin. Croyez-moi, ce n'est pas peu dire.

Ma bouche a formé un petit 'O' lorsque Meira, non contente de confirmer ses presque sept siècles d'existence, en ajoute un peu plus de deux. Je reste cependant silencieuse, avide d'informations qui arrivent par ailleurs à la suite. J'écoute ensuite Mékios dont je reprends le flambeau, hochant positivement la tête juste avant de m'exprimer, le timbre de voix marquant ma détermination.

"Pour de multiples raisons, je rejoins Mékios. J'ai bien conscience de ce que vous nous apportez, et vous en suis également reconnaissante, sans que des mots puissent l'exprimer suffisamment. La question me concernant n'est pas de savoir si je vais utiliser ce Second Souffle, ni même comment à vrai dire, mais bel et bien : quand vais-je commencer à agir.

J'espère qu'il en sera de même pour toutes les personnes qui ont composé notre Cercle autrefois" dis-je en adressant un sourire aux autres convives.

Je suis devenue une nouvelle fois bouche bée lorsque Meira rajoute près de deux siècles à l'estimation de son âge donnée par Sahia. J'écarquille les yeux en fixant le vide quelques secondes, avant de me reprendre et de suivre la conversation. J'écoute, attentive, les nouvelles réponses fournies par notre hôte, avant de sourire, l'air à la fois soulagée et enchantée, à la réponse du Lookshyan puis de la Lookshyane. Je patiente quelques secondes autant pour réfléchir à mes mots que pour être sûre de ne couper personne, avant de prendre à mon tour la parole :

"Je n'aurais pas dit mieux que Mékios et Sahia. Je compte bien utiliser toutes les aptitudes que nous avons obtenues pour aider ceux qui le méritent. Si je vais le faire n'est pas une question, c'est une affirmation Et j'espère tout autant que vous le ferez aussi ..."

Je termine ma dernière phrase par un regard au frère et à la sœur.

N'ayant rien de plus à ajouter, je replonge mon attention dans les divers mets encore présent sur la table, perdu dans mes pensées après que Meira ai répondu à ma question.

J'écoute tout de même les parties de l'histoire qu'elle souhaite nous révéler sur ses choix personnels, mais toujours rien de concret pour moi. Les avis des autres invités se font entendre, mais je ne me prononce toujours pas. Ce n'est que lorsque Sahia s'adresse à l'ensemble de la table que je relève les yeux, laissant Rinwell exprimer son opinion sur l'utilisation de ses nouvelles aptitudes.

À nouveau, l'attention est reportée sur ma sœur et moi. Cette fois-ci, je sors de mon mutisme :

"Puisque vous tenez tant à connaître nos avis, pour ma part, je ne me prononcerai pas. Ou du moins, je ne m'engagerai pas sur l'utilisation des aptitudes tant que nous n'aurons pas toutes les informations promises par Meira à notre disposition."

Je m'interromps pour m'adresser à notre hôte avec un sourire "Mais je comprends parfaitement la délicate situation dans laquelle vous vous tenez, il y a beaucoup d'informations à nous donner et nous n'avons que peu de temps." Je me tourne ensuite vers Sahia et Rinwell : "Donc pour répondre à votre question, et comme notre hôte nous l'a fait comprendre ; Moi et moi seul déciderai si et comment j'utiliserai cette aptitude."

J'écoute les différents avis avec un sourire toujours aussi chaleureux, quelle que soit la personne, quelle que soit la réponse. Je ne donne pas l'impression d'être partie pour donner mon avis, mais plutôt d'être partie en pleine réflexion. Ce n'est qu'après un bref silence que je me rends finalement compte que c'est moi qu'on attend. J'ai une mimique à la fois amusée et désolée et m'empresse de répondre, radieuse :

"Nous avons tous des besoins, des désirs et des buts. Et c'est notre dur travail et notre ambition qui ont déterminé le cours de notre destin. De nous trouver ici, aujourd'hui. Ensemble. Élus. Ce qui, à mon avis, est une bien plus grande réponse que des mots ! Mais pour y répondre, je ne vois pas d'autre choix. Il m'a touchée par sa grâce, et je serais sa voix. Et par sa caresse, j'accomplirai mes rêves. Nos rêves."

Mes propres paroles m'emplissent de joie, et je porte sur vous un regard apaisé... Certains pourraient même dire aimant.

Meira est restée silencieuse lors de vos derniers échanges, pendant lesquels elle a pu se nourrir à son tour, ne répondant aux différentes annonces que d'un simplement hochement de tête. Elle attend calmement que chacun ait fini de s'exprimer avant de conclure avec un sourire ravi : "Voilà très exactement pourquoi j'ai pris le risque de vous mener ici pour vous y éveiller... pour que le don de Soleil Invaincu ne soit pas perdu, ou détruit par la Chasse Sauvage, mais qu'il soit vraiment ce qu'il doit être : une opportunité de changer le monde et -je veux croire- de le rendre meilleur. Votre enthousiasme et votre désir d'agir sont pour moi le meilleur remerciement que vous pourriez jamais m'offrir."

Puis, à l'attention de Qasim : "N'y voyez cependant aucune pression car ce n'est certes pas mon intention. Vous avez le temps, bien plus que vous ne l'avez jamais eu, et vous avez raison de le rappeler : ce choix est votre et votre uniquement, et peu importe le temps qu'il vous demandera... C'est à vous de trouver votre voie, et de décider en votre âme et conscience si elle doit se poursuivre à leur côté ou non. Mais je crois sincèrement que toutes les informations que je pourrais vous apprendre ne remplaceront jamais les échanges avec vos compagnons."

La jolie blonde se ressert une tasse de thé avant de poursuivre :

"Je peux toutefois vous donner de quoi alimenter votre réflexion en vous contant l’Histoire de Création et de ces habitants. Comme je l’ai dit, il s’agit de deux récits, deux versions d’une même Histoire.

Je commencerai par celle qui vous sera sans doute la plus familière, car la plus largement répandue aujourd’hui grâce aux efforts incessants de l'Ordre Immaculé : l’Histoire officielle du Royaume."

Meira attend quelques secondes avant de reprendre.
"La seconde version est bien moins connue : il s'agit du Soutra de l'Interdite Floraison des Âges, du Culte des Illuminés."

Puis la jeune femme se tait, enfin, et observe patiemment chacun d'entre vous.

J'écoute donc avec un fort intérêt -mais un esprit critique- la seconde version de l'Histoire, la première étant très probablement déjà connue (ce qui ne m'empêche pas de l'écouter à nouveau, afin d'y porter ce regard nouveau que m'amène notre exaltation).

Je reste ensuite silencieuse quelques temps, le temps de mâturer ces informations, conservant une forme de neutralité simple dans l'expression, puis je finis par m'adresser à Meira :

"Et de votre point de vue, de ce que votre longévité incroyable vous a permis de vivre, quelle serait cet entre-deux le plus proche de la réalité ?"